Lorsque Hollywood fait un succès, Hollywood tient à capitaliser dessus. Aussi lorsque Les Dents de la mer, film de requin de Steven Spielberg rapporte une fortune en 1975, une suite est lancée peu de temps après.
Producteur du premier film, Richard D. Zanuck choisit pour réaliser cette suite John D. Hancock, qui a écrit et réalisé en 1971 le méconnu Let's Scare Jessica to Death, un film d'horreur sur l'aliénation mentale dont le thème sombre lui a beaucoup plu. La suite, c'est Hancock qui la raconte au micro du podcast The Daily Jaws (via Collider).
Brody hanté
Hancock raconte qu'à son arrivée, l'auteur Howard Sackler a déjà signé un premier jet du scénario, un préquel qu'il juge "horrible" et il engage finalement sa femme Dorothy Tristan, après avoir tenté d'engager des scénaristes avec plus d'expérience comme Nancy Dowd (La Castagne), Edward Anhalt (Jeremiah Johnson) ou David Rabe (Outrages).
Universal donne son accord pour tourner la version écrite par Tristan. Son idée est de traiter de l'aspect traumatisant des événements du premier film sur les habitants de l'île d'Amity. Le tourisme est en berne, le shérif Brody hanté par les morts survenues sous sa surveillance, la population déprimée et la municipalité endettée. Visuellement, Hancock voit l'image comme "désaturée", moins colorée que le Technicolor du premier film.
Licencié après 1 mois de tournage
Le casting prend des mois, le tournage est retardé car Richard Zanuck refuse d'employer à nouveau Robert A. Mattey, responsable du requin mécanique qui a causé tant de soucis sur le premier film, tandis que Sidney Sheinberg, président d'Universal, tient à ce qu'il rempile. Hancock se range plutôt à l'avis de Zanuck, estimant que Mattey refuse de retravailler avec le requin existant et, au contraire, complexifie encore la machinerie de l'animal.
Arrive le moment du tournage, qui se déroule durant trois ou quatre semaines sous la direction de John Hancock. Jusqu'à ce jour où un jet privé atterrit à Martha's Vineyard (Massachusetts) avec Sheinberg à son bord. Il repart, et le soir même, Zanuck et David Brown (l'autre producteur du film) annoncent à Hancock qu'il est licencié.
Entre le marteau et l'enclume
Pour Hancock, cette peur soudaine du studio vient notamment de la monteuse oscarisée du premier Dents de la mer, Verna Fields, devenue entretemps vice-présidente d'Universal. Elle estimait qu'elle aurait dû mettre en scène Les Dents de la mer 2, mais Zanuck lui avait refusé le poste. Toujours selon Hancock, Fields a commencé à faire courir le bruit que les "dailies" (scènes tournées chaque jour et envoyées au studio pour validation) étaient difficilement exploitables et qu'elle-même ne saurait pas les monter. "Le studio a perdu confiance", déclare-t-il aujourd'hui.
Après l'éviction d'Hancock, Universal a d'ailleurs offert le film à Fields, mais la Director's Guild a refusé l'opération au motif qu'un directeur de studio ne peut reprendre le film d'un membre de la Guilde des réalisateurs. Pour calmer la Guilde, Universal a donc officiellement engagé Jeannot Szwarc, tout en laissant Fields diriger le film en coulisses.
Surtout, le conflit entre Sheinberg et Zanuck à propos de tous les sujets - datant apparemment du premier Dents de la mer, trois ans auparavant - a aussi placé Hancock en porte-à-faux vis-à-vis des décideurs du destin de son film. Par ailleurs ami au civil avec Zanuck, il lui était difficile de prendre partie.
Le départ d'Hancock d'autres conséquences, comme l'éviction de Tegan West et Ricky Schroder, qui devaient jouer les enfants de Brody, mais aussi Dana Elcar qui devait jouer Len Peterson. Son personnage, bien plus sombre et endetté auprès de la mafia dans la version de Dorothy Tristan, est changé par Jeannot Szwarc pour devenir l'amoureux potentiel du personnage d'Ellen Brody. Enfin, Dorothy Tristan n'est pas créditée au scénario.
Un budget jamais vu pour Universal
Avec le tournage de nouvelles scènes avec le nouveau casting et les images filmées depuis un mois par Hancock simplement jetées à la poubelle, le budget des Dents de la mer 2 gonfle à 30 millions de dollars, devenant le film le plus cher jamais sorti par Universal.
Le scénario de Sackler et Tristan - bien éloigné de celui du film terminé - est finalement édité en roman, adapté par Hank Searls et publié en avril 1978, environ deux mois avant la sortie du long métrage de Jeannot Szwarc.
Lorsqu'il arrive sur les écrans, Jaws 2 récolte 77,7 millions de dollars sur le sol américain, un bon résultat mais très éloigné des 260 millions rapportés par le film original. Il devient tout de même le 6ème film du box-office américain de 1978.