Deux jeunes femmes très différentes vont s'essayer à une amitié le temps d'une cohabitation rendue possible par le biais d'une tragédie (propriétaire décédée d'un accident de voiture). Je dis "s'essayer" car si Isa au bon cœur est prompte à offrir son amitié facilement, ce n'est pas le cas de Marie qui est systématiquement rétive, cassante, met des barrières et agresse tantôt en persifflant, tantôt en sortant les poings.
Isa sillone la France avec son sac au dos et l'optimisme chevillé au corps. Elle n'est pas la Mona clochardisée de "Sans toit ni loi". Elle a certes le vernis écaillé, mais les mains propres, les cheveux propres. La première chose qu'elle fait en cohabitant avec Marie est de laver son sac à dos avec une brosse dans la baignoire. Elle sait se tenir et parler correctement aux autres, se rendant utile dès que possible. Elle ne trouve pas dégradant ni ennuyeux de faire des petits boulots ingrats voire dégradants comme distribuer des prospectus dans une jupe dorée juchée sur des patins sur lesquels elle a du mal à tenir debout, ce n'est pas une torture, mais une expérience qu'elle prend avec le sourire. Elle ne trouve pas non plus frustrant de ne consommer que du riz et des roulées. Pour autant, elle n'a pas l'optimisme béat. Elle n'hésite pas à se refuser à un homme qui ne lui plaît pas, pas plus qu'elle n'hésite à dire leurs quatre vérités à ses amis ou à envoyer paître et à gifler une personne qui la débecte profondément.
Marie est son exact contraire. Rien ne saurait la faire sourire, elle va jusqu'à ignorer impitoyablement chez qui elle vit, elle prend ce qu'elle reçoit comme un dû, qui ne trouve pourtant jamais grâce à ses yeux, elle dénigre systématiquement tout ce qui pourrait lui donner du baume au cœur, prenant un malin plaisir à minorer les expériences amoureuses d'Isa, à blesser un prétendant très doux en le traitant de "gros et gras" qu'elle ne désire pas.
Dans le nid douillet qu'est cet appartement aux couleurs chaudes, on s'attend à une grande amitié et une grande solidarité qui permettront aux deux amies de sortir de leur précarité, l'union faisant la force, mais cet appartement devient le théâtre d'une grande déflagration.
L'une voit l'autre sombrer et s'emmurer sans pouvoir la faire réagir positivement.
Celle qui se décrivait ostentatoirement comme une fille légère se contentant de sexe sans sentiment, devient une amoureuse humiliée et rabaissée qui devient pathologiquement obsessionnelle. Elle perd tellement les pédales que cette relation sans échanges hormis du sexe bestial entre cinq et sept devient pour elle la grande chance de sa vie. Elle en vient à dire à Isa "Tu ne peux même pas imaginer ce qui se passe entre nous", la soupçonnant même d'être jalouse de sa situation.
Le personnage de Chris est affreux en tous points. Démarche de gorille, mépris affiché, méchanceté gratuite. Il a tout mais ne semble pas plus heureux que quiconque, son plaisir est d'abuser de sa supériorité. Il a un physique de mâle dominant, il a l'argent mais ni âme ni courage. Malgré tout, c'est lui qui séduit et non le prolo, adipeux certes, mais honnête et généreux.
La réalité est cruelle mais elle reste la réalité : les contes de fée n'opèrent plus. Si vous n'êtes ni privilégié ni suffisamment putassier (cf: le mannequin de catalogue qui se vante de partir au Sénégal puis en Martinique parce qu'untel l'"aime bien" (mais est-ce vraiment pour faire des photos ? Personnellement, j'en doute mais le personnage semble suffisamment bête pour ne pas le faire) vous resterez à votre place parce que la caste supérieure ne veut pas de vous.
Isa aura tout fait pour aider son amie
sans y parvenir, celle-ci étant trop brisée depuis trop longtemps pour réagir avant la tragédie. Elle reprend sa vie, mais, si elle n'a pas ouvertement perdu sa belle âme, elle a perdu son sourire et son optimisme,
elle semble résignée.
Petites maladresses selon moi: les surnoms des personnages. On voit que le metteur en scène a eu vingt ans dans les années 80: "Fredo", "Charly" et "Chris" font un peu datés pour la fin des années 90. Même chose pour l'entretien d'embauche au restaurant "Hollywood boulevard". Quel jeune (prolo à plus forte raison) de la fin des années 90 admirait Lauren Baccall et même Madonna ?
Deux passages que j'ai trouvés particulièrement bons pour les noter: le journal intime de Sandrine découvert par Isa mérite d'être lu attentivement, je l'ai trouvé glaçant, et il y a matière à se poser des questions sur l'entourage de cette gamine de treize ans.
La réaction d'Isa quand elle dit que sa mère travaille dans une petite fabrique de chaussures. Elle ne regarde plus son amie en face, cligne des yeux et se frotte nerveusement le visage. Il y a matière à se demander pourquoi.
Un film qu'il ne vaut mieux pas regarder déprimé. Social sans tomber dans la caricature pleurnicharde, avec de beaux moments de grâce, d'autres d'une grande violence et porté par deux actrices aux visages purs et diaphanes incarnant leurs personnages à la perfection.