« The wicker man » ou « Le dieu de paille » en français, réalisé par Robin Hardy était le film préféré de Christopher Lee au sein de sa filmographie qui en comptait tout de même quelques fameux notamment les premiers Dracula tournés pour la Hammer, studio qu’il avait contribué à populariser avec son complice Peter Cushing et le réalisateur attitré du studio, Terence Fisher. Sorti en 1973, le film amputé de dix minutes de métrage au grand dam de Christopher Lee n’a pas rencontré son public notamment aux Etats-Unis. C’est avec le temps que cet OVNI cinématographique impossible à classer dans un genre précis (policier, comédie, épouvante, fantastique…) a acquis le statut de film culte. Le projet date de 1971 alors que la veine du film d’épouvante revisité par la Hammer commence à s’essouffler et que Christopher Lee cherche à se débarrasser des deux canines protubérantes et très aiguisées qui ont fait sa gloire. Avec le scénariste Anthony Shaffer, ils décident de travailler ensemble dès qu’une idée les séduira de concert. Le principe est acquis de rester dans le domaine de l’épouvante pour ne pas déstabiliser les fans de l’acteur tout en se démarquant radicalement de tous les codes esthétiques imposés par la Hammer. Shaffer vient de lire « Ritual », une nouvelle de David Pinner plaçant son intrigue sur une île écossaise sur laquelle un policier très religieux est envoyé pour démêler le meurtre d’une jeune fille dont les apparences font penser à un sacrifice rituel. La nouvelle avait été initialement écrite en vue d’un film réalisé par Michael Winner avec John Hurt dans le rôle principal. Shaffer ayant acquis les droits peut retravailler le sujet à sa guise. Robin Hardy, ami de Shaffer, sera le réalisateur. Pour tenir le rôle de l’inspecteur de police aux principes rigoristes, Edward Woodard s’impose après que David Hemmings et Michael York aient chacun décliné l’offre qui leur avait été faite. Diane Cilento, Britt Ekland et Ingrid Pitt seront les atouts charme du film. L’inspecteur bigot précité, remarquablement interprété par Edward Woodward, débarque sur l’île de Summerisle alors qu’une lettre anonyme a signalé la disparition d’une jeune fille.
Il découvre effaré une micro-société dont les mœurs tiennent plus du paganisme que des préceptes protestants. La liberté à tous les âges et dans tous les domaines, notamment sexuel semble être la devise qui unit la population. Le scénario se délecte à l’évidence de l’opposition frontale entre la rigidité de l’inspecteur et le spectacle qui s’offre à lui sans complexe et sans retenue aucune. C’est pourtant avec difficulté qu’il résiste aux avances de la très avenante serveuse de pub interprétée par Britt Ekland avec une candeur mutine à laquelle il semble bien difficile de résister. Le ton semble badin et bucolique même si en sourdine la tension et l’angoisse sont palpables.
Ce mélange subtil et surprenant est sans conteste la grande réussite du film. Quand arrive sur le tard Lord Summerisle campé par un Christopher Lee maniant à merveille une suavité inquiétante, on comprend mieux les enjeux qui se trament sur l’île dont le nom est hérité du patronyme du père du Lord arrivé sur place au début du siècle avec des idées marchandes bien précises en tête. A ce sujet il convient de préciser que le nom de Summerisle a sans doute été choisi à dessein par Anthony Shaffer. En 1960, était paru « Libres enfants de Summerhill » qui narrait l’expérience éducative du psychanalyste libertaire écossais Alexander Sutherland Neill, matérialisée par l’ouverture d’une école (fondée en 1921) regroupant 75 enfants de 5 à 16 ans pour leur enseigner entre autres, une forme d’auto-gestion, permettant aux libertés individuelles de s’exprimer au mieux (les cours ne sont pas obligatoires) tout en régulant l’émergence des tensions de toutes sortes. Une théorie faisant débat mais revenue à la mode avec l’émergence du mouvement hippie. Le film se veut en quelque sorte le reflet des mouvements de fonds qui agitent la société britannique alors que la réaction au mouvement contestataire des sixties est déjà largement engagée. Anthony Shafer n’en oublie pas pour autant qu’il a une intrigue à mener. Très féru des romans d’Agatha Christie dont il signera la plupart des adaptations cinématographiques au cours des décennies 70 et 80, il réserve au spectateur un dénouement particulièrement jouissif et inquiétant qui renforce encore le prix de « The Wicker man » qui aura permis à Christopher Lee de se parer d’accoutrements qui même outranciers n’enlèvent rien à son port majestueux. On ne se refait pas.