Parce qu'il a probablement savater tous les gangsters possibles sur la terre ferme, Jason Statham a décidé de plonger à travers les fonds sous-marins pour coller son poing dans la figure des vilaines créatures qui s'y cachent ! Coup de bol pour nous, sa route croise celle d'un gigantesque requin préhistorique, le mégalodon, venu tester le goût des humains du vingt-et-unième siècle.
Vu les forces en présence, on trépignait à l'idée d'un duel où le fun rivaliserait avec des exécutions bien sanglantes... Seulement, au cours de sa longue gestation, l'adaptation du roman de Steve Alten (car oui, il y a un livre à la base aussi étonnant que cela puisse paraître) est devenue une monstruosité de coproduction entre les USA et la Chine, aseptisée au possible pour plaire au plus grand nombre de spectateurs. On pouvait alors au moins espérer un film de requin géant un minimum divertissant mais c'était une douce chimère, le faiseur sans âme Jon Turteltaub aura beau pleurer toutes les larmes de son petit corps en criant partout qu'il avait prévu une toute autre version, le résultat à l'écran en forme de parfait blockbuster pour les nuls ne nous donne même pas envie d'en imaginer plus.
Divertissant, "En Eaux Troubles" l'est tout de même pendant sa première partie d'exploration. Comme si le nuage sous-marin cachant la découverte d'un microcosme inconnu contaminait la narration du film, l'attente autour des premières apparitions du requin parvient à ménager un certain suspense qui nous fait oublier l'incroyable montagne de poncifs d'exposition à laquelle on assiste. En ce sens, parmi une galerie de clichés sur pattes en guise de seconds rôles, la figure héroïque Stathamienne en plat du jour est particulièrement gratinée : alors qu'il clame partout qu'un truc géant est responsable de l'échec de son dernier sauvetage, v'là-t'y pas que ce plongeur en retraite alcoolo-asiatique est appelé à la rescousse pour sauver un mini sous-marin subissant les assauts de ce même truc géant et conduit par... son ex-femme. Les hasards de la vie sont magnifiques, n'est-ce pas ?
Mais lorsque le mégalodon décide de quitter son habitat naturel pour aller croquer à pleines dents d'innocentes victimes dans "notre monde", "En Eaux Troubles" passe du spectacle regardable à un truc sans queue ni aileron aux rebondissements à peine digne d'un téléfilm de requins Syfy auquel on aurait injecté des hormones de millions de dollars côté FX. Déjà que les personnages sont insupportables de caricatures (on rêve de dévorer l'assistant peureux et insupportable nous-mêmes pour qu'il se taise !), ceux-ci nous emmènent au royaume magique des décisions irrationnelles : "le mégalodon vient de becter trois bateaux d'un coup ? Allons tous voir ça... en bateau... pour se mettre bien en danger et on sortira les minis sous-marins de dingue que l'on possède dans la dernière partie du film !", "Je suis un milliardaire pas net, je vais forcément faire à peu près tout ce qui est en mon pouvoir pour être dévoré comme dans un "Jurassic Park" !", "Mon plan ? Je suis Jason Statham donc je fais invariablement n'importe quoi pour me retrouver à chaque scène d'affrontements à un ou deux millimètres du squale géant, voilà mon plan !", "Le mégalodon ne sent pas les vibrations d'une personne dans l'eau -bon c'est Statham en même temps, le type ne vibre pas- mais mettez en juste deux et il devient un véritable GPS de la mer !", ... On pourrait continuer des heures comme ça, "En Eaux Troubles" est un amoncellement de trucs ahurissants qui nous font toujours sourire de gêne contre lui car amenés avec une totale absence de second degré (l'humour volontaire tombe d'ailleurs constamment à plat) et, lorsque le film se détache des attaques du requin pour ramener un peu de calme, c'est la bérézina : entente américano-chinoise oblige, Statham passe tout son temps au sec à dragouiller mollement une scientifique chinoise qu'il sauve sans arrêt malgré le fait qu'elle joue comme dans un mauvais cartoon (la gestuelle forcée de Li Bingbing est hilarante, elle, au moins), à noter que celle-ci est la mère d'une petite fille ayant apparemment plus de neurones que tout l'équipage réuni mais dont le caractère "mademoiselle-je-sais-tout" nous donne assez vite envie de la voir elle aussi en virée dans l'estomac du mégalodon.
Le reste ? Au milieu d'attaques répétées ne provoquant que des baillements polis vu que la liste de seconds rôles prêts à être croqués est déterminée à l'avance (Statham a bien sûr un totem d'immunité) et autres sacrifices ridicules en pagaille, l'acte final, loupé d'une manière assez sidérante alors que tous les ingrédients pour un climax véritablement explosif était là, réussira même à nous mettre le mégalodon à dos. Alors qu'on avait rejoint assez tôt son camp pour le voir hâcher menue toute présence humaine du film, la bestiole fera le plus petit carnage qu'il soit, avec un compteur de victimes à peine digne d'un dauphin enragé, un comble pour ce mégalodon qu'on nous avait vendu comme l'ultime requin cinématographique !
On sauvera donc la première partie, bien plus réussie que tout le reste, et quelques fugaces scènes d'attaques où Turteltaub semble boire une gorgée de boisson énergisante pour se réveiller derrière la caméra mais, à part ça, "En Eaux Troubles" est un blockbuster d'une fainéantise absolue qui ne parviendra même pas satisfaire le spectateur ayant sagement posé son cerveau sur ses genoux...