À l’heure où la foi religieuse est investie par le cinéma et la série sous l’angle du fanatisme à combattre – pensons à Unorthodox ou aux œuvres sur la radicalisation islamiste, Le Jeune Ahmed et L’Adieu à la Nuit – et de l’abus autant moral que sexuel – Grâce à Dieu, Les Envoûtés –, en parfaite adéquation avec les polémiques qui scandent notre actualité et reflètent notre rapport au monde et à l’existence, revoir Léon Morin, prêtre de Jean-Pierre Melville fait l’effet d’un choc. Car le cinéaste, au lieu d’attaquer frontalement l’Église et ses partis pris pendant l’Occupation allemande, préfère revenir aux fondements mêmes de la foi et interroger le sentiment religieux, cet appel à Dieu ici exploré dans toute sa complexité. Emmanuelle Riva interprète une jeune veuve qui découvre, au détour d’un confessionnal, séparé d’elle par une grille, un prêtre dont elle s’éprend : pour s’en rapprocher et nouer des liens avec lui, elle lui rend visite, le soir, donnant lieu à des conversations animées et passionnées autour de la croyance. Et ce qui est magnifique dans le film de Melville, c’est de voir comment la simple conversation, à condition qu’elle soit menée par un prophète – du latin profiteor, « dire publiquement, révéler » –, évolue en conversion à l’autre et à sa foi, sans certitude quant à l’objet véritable de la passion éprouvée. De cette confusion des sentiments et de l’amour naît, en creux, le portrait d’un saint homme, ledit prêtre dont la fonction fait office de titre, indissociable désormais de son identité : soumis à la tentation, nous le voyons danser un pas de deux entre vice et vertu, constamment sur le point de vaciller mais constamment maître de lui-même, une maîtrise tirée de Dieu et dévouée à Celui-ci. Melville capte donc le chaos du cœur et de l’esprit dans un village français annexé, déplaçant le contexte historique de la Seconde Guerre mondiale d’un ancrage politique voire polémique à un espace symbolique rejouant, sur une autre échelle, le combat intérieur qui déchire les personnages. Son montage rend chacune de ses séquences incisive, ne retenant que le nerf, le muscle, ce qui sert l’intrigue ; aussi le long métrage intrigue-t-il du début à la fin, porté par une photographie magistrale et une réalisation intelligente, très aérienne et mobile, comme traduction à l’image et par le mouvement de la présence-absence de l’esprit saint qui peut, à tout moment, frapper le Mortel et le raccorder à l’au-delà. Enfin, que serait le film sans Jean-Paul Belmondo ? L’acteur trouve là un rôle à la fois détonant et sur-mesure, imposant un mystère, une densité intérieure on ne peut plus fascinants. Une œuvre immense sur le besoin de croire à une réalité supérieure, une œuvre lumineuse qui a l’audace de mêler amour profane et foi sacrée au nom de la certitude morale.