Personne n’a su conter des histoires provençales comme Marcel Pagnol. De par sa prose, de par son style, de par son vocabulaire, et de par son amour dédié à la région dont il est originaire, l’enfant d’Aubagne ne s’est pas contenté d’être le témoin privilégié des nombreuses tranches de vie qu’il a pu nous offrir. Non. Il nous les a fait vivre comme si nous y étions. Et c’est justement par sa pièce de théâtre "Marius" qu’il s’est fait connaître du grand public en 1929, à seulement 34 ans. Cette œuvre, aux couleurs très locales, s’est voulue profondément sincère et authentique, et c’est ce qu’elle est. Difficile de retranscrire au cinéma toutes les recettes qui ont fait le succès populaire de la pièce de théâtre, jouée déjà par Raimu, Pierre Fresnay, Fernand Charpin, Orane Demazis et tous les autres. Et le pari a non seulement été relevé, mais en plus réussi, sans doute parce que le film a été dirigé par Marcel Pagnol lui-même (aidé pour la mise en scène par Alexandre Korda), mais aussi parce qu’on retrouve toute la troupe ayant interprété la pièce. Je disais donc que l’écrivain/cinéaste avait le don de nous faire vivre ses histoires. C’est donc également vrai pour cette adaptation cinématographique. "Marius" sent bon la Provence, l’iode de la méditerranée, les commerces d'antan, et retranscrit à merveille un pays où il fait bon vivre, loin, très loin de l’agitation de la capitale française à peine évoquée. L’accent marseillais, les expressions qu’on ne trouve nulle part ailleurs, et les personnages irrémédiablement attachants propulsent ce film comme l’un des premiers succès du cinéma parlant français. Car comme l’a dit le critique et historien cinématographique Claude Beylie, "le coup de génie de Pagnol a été de créer des personnages qui existent non seulement le temps d’une pièce ou d’un film, mais au-delà ; des personnages ouverts, dont on voudra connaître les antécédents, prévoir le futur, ce qui suffirait déjà à justifier la nécessité d’une suite". Et c’est ce qui sera fait avec "Fanny", puis "César". Le fait est que "Marius" est une œuvre intemporelle, suscitant un brin de nostalgie plus de 80 ans après. On y retrouve du vocabulaire inusité aujourd’hui (comme "parbleu", "fils de mastroquet", "souliers", ou "imbécile") et des expressions très métaphoriques qui font la carte d’identité du pays marseillais. : "tu étais rouge comme un gratte-cul", "je t’en flanque un coup de pied dans le derrière, que je te fais claquer les dents" et il y en a plein d’autres. Les dialogues sont truculents et bon nombre de scènes inoubliables, comme cette partie de carte dont l’internaute cinéphile Chrischamber86 parle si bien. Et on retrouve aussi les vieilles enseignes telles qu’elles existaient, bien avant que les néons ne viennent inonder les devantures pour jouer un rôle tapageur afin d'attirer la clientèle dans les nombreuses boutiques qui cernent ce qu’on appelle aujourd’hui le vieux port. Mais "Marius" ne serait pas ce qu’il est sans les acteurs, à commencer par Raimu, qui deviendra l’interprète-fétiche de Pagnol. Excellent dans tous les états-d’âme que traverse son personnage, il est également parfait, voire désopilant quand il ne parle pas, comme lorsque César se réveille de la sieste. Résumer sa prestation de la sorte serait infiniment trop court et incomplet, mais il est préférable de découvrir son formidable jeu d’acteur. Pierre Fresnay (Marius) et Orane Demazis (Fanny) sont également touchants. Fernand Charpin (Panisse), Paul Dullac (Escartefigue) et Alida Rouffe (Honorine) finissent de compléter ce tableau de personnages hauts en couleurs. Point de vue plus technique, l’image n’est pas toujours très bonne et la bande son légèrement grésillante. Le film date tout de même de 1931, seulement quatre ans après l’arrivée du cinéma parlant. En fait, ces petits défauts techniques contribuent également au charme suranné de l’œuvre, laquelle commence par un plan paraissant maladroit sur un trois-mâts puisqu’il ne rentre pas entier dans le champ de la caméra, parti de Marius en train de le contempler, avant de revenir sur le rôle-titre ; en fait, c’est pour mieux rendre compte de la taille du vaisseau, en opérant comme si la caméra n’avait pas assez de recul pour l’immortaliser entier sur la pellicule. C’est donc logiquement que je me range du côté de la plupart des internautes cinéphiles pour dire que "Marius" est un classique incontournable plaisant à découvrir ou à redécouvrir, qu’on soit vieux ou moins vieux, et que nous avons hâte de retrouver cet univers dans le(s) film(s) suivant(s), malgré le fait que la mise en scène ait gardé un style assez théâtral.