Bien qu’il soit porté aux nues par les critiques et considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de son réalisateur Bertrand Tavernier, "Le juge et l’assassin" m’a un peu laissé sur la faim. Non pas que le film m’ait déplu ! Mais je trouve qu’il souffre d’un certain nombre de défauts trop souvent oublié lorsqu’on l’évoque et qui l’empêche, à mon sens, d’être totalement réussi. Certes, on retient, à juste titre, le numéro des deux interprètes principaux, à savoir Michel Galabru en assassin fou à lier (qui recevra son seul César à cette occasion) et Philippe Noiret en juge ambitieux. Galabru est effectivement bluffant car il parvient à casser son image (tellement réductrice et injuste pour cet acteur merveilleux) de comique ringard sans, pour autant, renier son jeu habituel. On retrouve, ainsi, son accent méridional et ses éclats de voix… au point de rendre le personnage limité, voire grotesque. Ce n’est, pour autant, pas une critique dans la mesure où le tueur dont s’inspire le film (Joseph Vacher rebaptisé ici Joseph Bouvier) était visiblement très proche de ce portrait. L’interprétation outrancière de Galabru tranche, du reste, avec celle de toutes ses partenaires… à commencer par celle de Noiret, souvent oublié lorsqu’on parle du film au profit de son "adversaire" alors qu’il campe un juge passionnant dans son arrivisme et sa moralité douteuse (là encore, le portrait semble proche du Juge Fourquet qui a fait condamner Vacher). Plus qu’un reversement des repères habituels (Tavernier ne va pas jusqu’à faire de son assassin un "gentil"), le portrait de ce juge s’inscrit dans la logique du propos du film, à savoir une dénonciation des injustices sociales de l’époque, à travers le cas de cet assassin, incontestablement fou mais qui, en raison de l’obstination d’un juge ne voulant pas passer à côté de l’affaire de sa vie, finira par être considéré comme responsable de ces actes et guillotiné. Tavernier élargit sa critique en replaçant les faits dans le contexte de l’époque, gangrenée par l’antisémitisme galopant, le colonialisme, la mainmise de l’Eglise ou encore l’affaire Dreyfuss. Malheureusement, Tavernier pousse sa logique un peu trop loin à mon sens puisque, visiblement craintif que l’affaire Vacher et la description des mœurs de l’époque soient insuffisants, il force le trait, avec un manque de subtilité surprenant en faisant du juge (qui avait déjà bien des défauts)
un violeur
et en se livrant à une comparaison assez maladroite entre les enfants assassinés de façon assez abominable par Bouvier et…
les enfants mourant dans les mines
! Ce parallèle n’apporte pas grand-chose au récit et fait franchement cheveu sur la soupe
(comme la séquence finale façon "Germinal" !)
. Autre problème : le rythme qui, à plusieurs reprises, fait défaut en raison, notamment, des longs monologues de Bouvier en voix-off, accompagnés d’une musique à la limite du supportable, d’un montage qui aurait gagné à être plus serré, d’un certain nombre de sous-intrigues qui ralentissent le récit (à commencer par la relation entre le juge et Rose) ou encore de chansons entièrement déclamées (là où un extrait aurait été amplement suffisant !). Cependant, la mise en scène de Tavernier m’ayant toujours laissé assez dubitatif, je suis peut-être un des rares à avoir été gêné par ces défauts. Heureusement, le film est parsemé de moments surprenants par leur légèreté, voire leur drôlerie inattendue. Les échanges entre Bouvier et le juge sont souvent incroyables à ce titre mais ce sont, surtout, les séquences du Procureur (joué par le fantastique Jean-Claude Brialy) qui remportent la timbale à ce titre, tout comme les réactions décalées de la mère du Juge (Renée Faure). Le juge et l’assassin est donc un film intéressant, qui retrace un des faits divers les plus terribles du 19e siècle (Vacher étant considéré comme un des premiers serial killer français) et qui bénéficie d’une interprétation de haute volée… sans pour autant être le chef d’œuvre escompté.