Hommage à Galabru impose à voir le seul bon film de sa carrière. Lui, modeste, ne comprit pas pourquoi il obtint le César de meilleur acteur et considéra que tout le mérite revenait à Tavernier.
Exploitation d’un fait divers de la fin du XIXème siècle, cette histoire de serial killer français à demi dément est l’occasion pour Tavernier de brocarder la bourgeoisie de l’époque campée sur un espoir d’immobilisme de classe qui l’arrange bien en pleine crise Dreyfusarde. La CGT venait aussi de naître, les ouvriers commençaient à s’unir pour refuser l’establishment ; une nouvelle donne faisait jour.
Tavernier, metteur en scène de talent, maitrise parfaitement les films en costume et la plongée dans une époque. Là, il met en face à face un déséquilibré et un juge symbole de l’ordre social. Le souhait de maintenir cet ordre dépasse, pour le juge, les nouveaux droits des accusés quant à leur assistance d’un avocat et les expertises psychiatriques. La mission que le juge se délègue est donc tout autant juridique que politique. Le pouvoir ne doit montrer aucune faiblesse. Eliminer les ennemis de classe, les révolutionnaires et les dreyfusards passe par la peine de mort, la répression ouvrière, et le colonialisme. La bourgeoisie a tous les pouvoirs et compte bien les conserver longtemps. Ce juge incarne cette bourgeoisie arrogante. Désireuse de statut quo, elle en est insensible.
Tavernier livre donc un film profondément humaniste légitimant les combats contre les ordres établis. Son film est donc à ce titre intemporel. Bouvier, l’assassin, est filmé dans les montagnes ardéchoises en plan large ; Tavernier montre son incapacité à s’intégrer dans ce monde qui lui est hostile. Tandis que le début du film nous révèle un Bouvier antipathique, monstrueux même, qui n’inspire guère l’indulgence ; et un juge d’instruction intègre, compétent et impartial ; une inversion s’opère à la fin ou, tout au moins, le juge Rousseau dévoile ses propres failles et errements professionnels (dans sa quête d'une médiatisation et d'une décoration à tout prix) et personnels (ses relations de quasi couple avec sa mère et de domination avec sa maîtresse Rose / Isabelle Huppert). Il apparait alors comme le représentant d’une société violente et injuste. Bouvier réclame d’être soigné et non jugé ; il invoque l’irresponsabilité pénale pour cause de démence, mais elle ne lui sera pas accordée. Dans le débat qui anime la France à l’époque autour de la peine de mort, ce film a posé sa petite pierre militante.
En effet ce film pose un nombre important de questions : la responsabilité pénale des personnes atteintes d’un trouble mental (peut-on condamner un fou ?) ; le sort judiciaire réservé aux pédophiles (bien que le mot ne soit jamais employé dans le film) ; les conditions de détention des criminels ; le rôle de la presse et le secret (non préservé) de l’instruction ; les crimes sexuels commis par les prêtres de l’Eglise catholique (l’accusé prétendant avoir été victime - à l’âge de seize ans - d’un viol commis par un prêtre mariste) … Au-delà de ces points particuliers, ce film pose des questions fondamentales concernant la repentance, la légitimité de l’acte de juger, le juste châtiment …
Et puis le casting avec un Noiret égale à lui-même et un Galabru capable de se défigurer ; de passer d’une gouaille enfantine avec ses yeux rusés à des éclats de colère soudain, noirs et inquiétants assure un numéro de duettiste de haute volée.
Et puis le film se clos sur un panneau hyper militant de Tavernier qui fit grincer quelques dents ; rappelant que les victimes de Bouvier ne doivent pas occulter celles, infiniment plus nombreuses, que la société a engendrée. Juste que dans les deux cas, ce sont des enfants de classe très défavorisés qui étaient concernés. C’était alors peut être une maladresse.