Bird est fasciné par les zones d’ombre de son personnage principal qu’il incarne à l’écran par un travail de la lumière et des couleurs, rendant certaines scènes à peine visibles, et donne à l’organisation de son récit, composé de flashbacks permanents ou de projections vers un ailleurs dont nous questionnons tantôt la place dans la chronologie, tantôt la pertinence – s’agit-il d’une vision ou d’un véritable épisode ? –, la structure déstructurée d’une pensée qui vacille au gré des injections quotidiennes et de l’alcool. Le jazz, chez Clint Eastwood, n’est pas une musique de fond que l’on diffuse comme on répand une odeur artificielle pour relever l’ambiance, il est combat d’un être avec lui-même, souffrance d’un corps malade qui crache et sa maladie et sa vie dans ce nouvel organe qu’est son instrument. La destruction de l’ordre logique de la narration, suivant une logique double qui est celle de l’improvisation chère au jazz et celle des voyages intérieurs que fait subir la drogue, constitue à la fois l’intérêt et la principale limite du geste artistique du cinéaste, puisque celle-ci finit, à terme, par agacer et perdre le spectateur dans un dédale de projections et de séquences biographiques qui fascinent davantage par le mécanisme qui les régit que pour elles-mêmes. L’autre intérêt à trouver à Bird est donc musical, à la fois pour découvrir Charlie Parker, sa vie et sa musique, mais également pour apprécier le travail révolutionnaire effectué par Lennie Niehaus sur les morceaux enregistrés par celui-ci ; en ce sens, le film innove en isolant la piste de Parker et en réenregistrant en studios l’accompagnement instrumental... Voilà donc deux qualités essentielles – l’une formelle, l’autre musicale – qui, ajoutées à la prestation remarquable des acteurs, justifient la découverte et la considération du long métrage.