https://leschroniquesdecliffhanger.com/2023/04/07/cuisine-et-dependances-critique/
Le cynisme est déjà bien présent après trois minutes, ne serait-ce que dans le non verbal des hôtes et de leurs invité-e-s. Les diners entre amis sont en effet propices au pire des huis clos horrifique en termes d’exacerbation des ressentis… 4 minutes, et Bacri râle déjà !! Au menu du diner, hypocrisie et faux-semblants sous fond d’importance des hiérarchies sociales…
C’est la guerre de tranchée dans la bourgeoisie parisienne, c’est l’apocalypse urbaine, le paroxysme des mesquineries citadines. Souvent des soixante-huitards qui se sont installés, faisant vivre la citation acerbe prêtée à Aristide Briand : » Quand on a 20 ans, et qu’on n’est pas de gauche, c’est qu’on n’a pas de cœur, mais quand on a 40 ans et qu’on n’est pas de droite, c’est qu’on n’a pas de tête « . La passion, l’amour, l’éternelle adolescence qui s’étouffent sous les affres ménagers capitalistiques, c’est la perte des illusions, la mort des rêves. Alors, on se venge, on se déchaîne pas mal sur les autres, mais surtout sur soi. On se connaît tellement qu’on ne peut plus que se détester. Aigreur et gloires, miroir de l’autre. Cette anthropologie sociétale était totalement en phase avec l’époque des années 90, et portée comme elle l’est par la troupe Bacri/Jaoui, se retrouve magnifiée dans cette apologie guerrière contemporaine terrifiante.
C’est la folie moderne, ou ce qu’on possède finit par nous posséder, ou ce qu’on a, définit ce qu’on est. Ce qu’ils ne supportent pas, c’est ce qu’ils sont devenus. Du coup, Cuisine et dépendances se mue en psychothérapie de groupe, mais sans le psy !! Le pugilat est total, sans qu’un coup ou qu’une insulte ne soit partagés. L’influence théâtrale est totale et son adaptation sur grand écran confine à de la haute voltige. C’est aussi affaire de mise en scène, avec ce grand écrivain que l’on ne voit jamais comme ce fut le cas dans la pièce, et où tout se joue dans la cuisine, avec les comptes rendus de chaque personnage, qui nous donne à voir les coulisses du repas où c’est évidemment le plus important qui se trame. Pour autant, rien n’est figé, la caméra bouge avec les personnages, et le sentiment de mouvement est permanent alors que précisément, le lieu est unique.
C’est aussi la puissance de l’écriture, avec ce style névrotique et cynique. La cuisine est au-delà d’une coulisse, elle est l’arrière-plan des refoulements psychiatriques les plus vils. Ce quintette d'acteurs est une véritable chorale impressionnante de maîtrise de son art, les mêmes qui avaient joué dans la pièce originelle, et participe au plaisir de redécouvrir une œuvre qui n’a jamais vieilli tant elle discourt avec acidité et causticité de la haine de l’autre, donc de soi, et tant l’intemporel Cuisine et dépendances parle si bien en mal de nous…