Vu à Montréal.
Voilà un très sérieux concurrent dans la course aux Oscars qui devrait débuter sous peu! Et c’est peu dire que ce n’est pas forcément une œuvre qu’on attendait forcément en dépit de l’équipe prestigieuse à tous les postes qui ont participé à sa création et de son petit effet dans certains festivals comme au TIFF à Toronto. Mais le sujet était déjà plutôt excitant puisqu’on parle ici du fameux conclave qui débouche à la désignation d’un nouveau Pape après la mort ou l’abdication du précédent. Et des longs-métrages qui traitent de ce sujet il y en a peu. Un seul nous vient à l’esprit d’ailleurs, le « Habemus Papam » de Nanni Moretti. Certes des films qui prennent place au Vatican sont un peu plus fréquents mais si ce n’est « Les Deux Papes » ou « Le Cardinal », ce sont majoritairement des films d’horreur. Voilà donc un contexte rare et un sujet intrigant, source de fantasmes qu’Edward Berger prend à bras le corps pour nous livrer une œuvre magistrale et entêtante qui prend la forme d’un thriller implacable. Car oui, « Conclave » est avant tout un suspense à couper le souffle. Alors bien sûr pas dans le sens où on peut l’entendre habituellement avec frissons, courses-poursuites ou même tension psychologique, mais du mystère, des interrogations et pas mal de rebondissements (dont certains seront d’ailleurs prévisibles pour certains mais qu’importe).
Et pourtant, on avait le droit de trouver que le cinéaste allemand Edward Berger avait été un peu surcoté avec son film de guerre pour Netflix, récipiendaire de l’Oscar du meilleur film étranger : « À l’Ouest, rien de nouveau ». Mais cette fois, pas de doute possible avec « Conclave » : Berger est un grand cinéaste. Il s’accapare ce sujet adapté d’un roman de Robert Harris avec une aptitude indéniable et en fait un très grand moment de cinéma sur tous les pans. Dès les premières images qui posent le décor et les enjeux (le Pape est décédé et l’un de ses cardinaux est chargé d’organiser et gérer le conclave pour la nomination du suivant avec un confinement de plus cent cardinaux prétendants), il donne le la. L’ambiance est lourde, la tension est à son comble et quelques plans fixes et concis, d’une efficacité rare, vont nous plonger dans ce conclave durant deux heures passionnantes et totalement hypnotiques. On sent que « Conclave » ne sera pas un film léger et que cette immersion au sein des grandes instances religieuses du Vatican va être emplie de mystère et de questionnements. Le suspense est admirablement bien lancé et il est dur de ne pas y succomber.
Pour que ces coulisses d’une élection religieuse (qui ressemble parfois à celles d’une élection politique, comme le souligne par ailleurs l’un des protagonistes) avec ses trahisons, ses jeux de dupes, ses soupçons, ses petites ententes et coups bas, soient crédibles, il fallait de grands acteurs chevronnés. Ralph Fiennes est de cette trempe et il livre ici l’une de ses meilleures compositions trouvant là l’un de ses rôles les plus marquants et admirables en cardinal organisateur plein de doutes et de bonne volonté. Stanley Tucci, souvent cantonné aux seconds rôles, excelle également en cardinal progressiste tandis que John Lithgow et Sergio Castellito sont impeccables en opposants aux sensibilités plus réactionnaires. Le Vatican est parfaitement reconstitué et la mise en scène de Berger la magnifie à maintes reprises, nous gratifiant de quelques plans sublimes (la vitre de la Chapelle Sixtine qui explose, un défilé de sœurs vu de haut qui accourent place Saint-Pierre ne laissant voir que leurs parapluies, ...) et d’une réalisation à la fois ample et feutrée en totale adéquation avec les lieux et le sujet. Tout juste on soulignera une musique intense et pertinente mais parfois un peu envahissante.
Mais « Conclave » c’est aussi et surtout, derrière les apparats d’un thriller religieux et à savoir qui sera le prochain élu, un formidable réceptacle à questionnements. La place de l’Église au sein de ce monde, la foi sous tous ses aspects, les différents courants qui animent la religion catholique et, bien sûr, une foultitude de sujet éminemment contemporains parfaitement insérés dans les dialogues et les situations. L’homosexualité, la place de la femme, l’Islam et les autres religions et, au centre de tout cela, le doute nécessaire, sont au cœur du récit et des tenants et aboutissants de l’élection. Certains échanges sont littéralement passionnants sur le sujet et ouvre le débat avec intelligence. On sent que Berger soutient la cause progressiste au sein de l’Église mais il laisse la place à d’autres courants. L’épilogue et son retournement de situation sont étonnants et donnent une envergure encore plus moderne au film tout comme un magnifique discours de paix sous-jacent. On est même ému par certains plans fixes sur le visage de Fiennes lors du final. Un visage qui en dit beaucoup en silence. « Conclave » est une œuvre importante et magistrale à ne surtout pas louper dans un microcosme rare et dont toutes les composantes frôlent la perfection. Un film à Oscars mais accessible qui devrait se retrouver en bonne place l’an prochain dans les remises de prix...
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