Il est des films qui ne se contentent pas de raconter une histoire, mais qui s’aventurent à recréer l’atmosphère d’un lieu, la texture d’une époque, l’inexprimable d’un moment suspendu entre le visible et l’indicible. Conclave, sous la direction attentive et rigoureuse d’Edward Berger, s’inscrit précisément dans cette catégorie. Dès les premières images, une lenteur majestueuse s’empare du récit, invitant le spectateur à pénétrer dans un univers où le sacré se mêle aux jeux opaques du pouvoir, comme l’ombre se confond à la lumière dans les plis baroques des tentures de la Chapelle Sixtine.
La reconstitution des lieux frappe par son exactitude presque liturgique, chaque détail étant empreint d’un soin qui semble vouloir faire revivre non seulement un espace, mais une âme. Les fresques des murs, comme les plis des chasubles, évoquent à la fois la gloire immuable d’une institution et la fragilité des hommes qui l’habitent. Dans cet écrin solennel, les cardinaux, figures hiératiques et néanmoins profondément humaines, avancent comme des pièces sur un échiquier dont les règles, bien qu’écrites, sont toujours sujettes à une interprétation secrète.
Ralph Fiennes, dans le rôle du Cardinal Lawrence, incarne avec une subtilité rare cet équilibre délicat entre la grâce et la duplicité. Le choix de dialogues en latin – subtilement traduits en français pour l’auditoire contemporain – ajoute à la fois une authenticité et une distance, un peu comme si les personnages se dérobaient à la temporalité immédiate pour se hisser dans une sphère atemporelle où chaque mot devient une incantation. Ces passages, dont la musicalité semble convoquer une mémoire collective enfouie, raviront sans doute les spectateurs sensibles à la langue des premiers maîtres.
Mais si Conclave touche, c’est parce qu’il interroge, sans lourdeur ni dogmatisme, la complexité des relations humaines dans un contexte où tout semble se jouer dans le secret. Les faux-semblants, les alliances de circonstance, les trahisons feutrées – ces "coups de Trafalgar" empreints de majesté – trouvent ici une résonance particulière, car ils sont enserrés dans une structure qui, par son immobilité apparente, accentue leur portée dramatique. Les thématiques de l’acceptation, de la foi et du doute, tout comme celles du rapport au sacré, apparaissent alors dans une lumière nouvelle, non pas comme des concepts abstraits, mais comme des expériences intimes où se reflètent les fractures d’un monde en perpétuel devenir.
Enfin, le film se clôt sur une note inattendue, presque déroutante, rappelant que même au cœur des institutions les plus figées, souffle parfois un vent d’audace. Conclave, par sa réalisation soignée et sa profondeur narrative, s’inscrit comme une œuvre à la fois exigeante et universelle, un miroir tendu à notre humanité en quête d’absolu.