Que pouvait-on attendre de Vaincre ou Mourir ? Peut-être de réactualiser le débat sur la place d’un cinéma politiquement engagé aujourd’hui en France, alors même que les notions de patriotisme et de mémoire nationale semblent appartenir aux partis de droite et d’extrême-droite, adorateurs du long métrage, utilisées avec précaution par les partis de gauche et d’extrême-gauche qui, eux, blâment ce dernier. Mais encore eût-il fallu faire œuvre de cinéma.
Comment juger cette production Puy-du-Fou écartée de bout en bout du septième art, appartenant à une autre forme d’expression artistique : le spectacle vivant ? Les critères esthétiques d’ordinaire appliqués sont inopérants dans la mesure où la mise en scène est nulle, l’interprétation caricaturale, la narration historique à ce point invasive qu’elle place une parole et un sens sur des scènes qui, sinon, en seraient dépourvues. Ou plutôt, la mise en scène, l’interprétation et la narration n’ont rien de cinématographique : elles relèvent du spectacle représenté dans l’instant devant un public, appartiennent à un espace scénique dont la seule fonction est d’exhumer et de galvaniser un passé qui, pour une durée limitée dans un lieu physique défini, revient à la vie. Le cinéma ne saurait se contenter d’une mise en images comme des industriels mettent en boîtes : il sollicite l’imaginaire.
Aussi l’essence d’un film sur la Révolution est ailleurs que dans la reconstitution seule : elle doit frapper l’esprit d’un spectateur qui éprouve l’époque non plus comme un spectacle bruyant et furieux mais comme sensibilité, sensorialité. C’est ce qu’a parfaitement compris et su restituer Stanley Kubrick avec Barry Lyndon (1975), dont le récit se passe quelques décennies avant l’insurrection vendéenne. C’est pourquoi Jean Renoir a exploité le principe de polyphonie narrative dans La Marseillaise (1938), afin de rendre compte des différents camps en présence et de la confusion interne qui y régnait, reflet des enjeux politiques de la fin des années 30.
Vaincre ou Mourir n’a qu’un seul point de vue, celui de son héros, Charette, qui ne connaît aucune évolution dans sa caractérisation : d’emblée tout s’organise autour de sa personne, il se rend maître de la révolte, et fait son propre de chaque service : il ne s’attache à aucun des combats, qu’il n’ait achever d’essayer de tous. Non content d’être un acteur déterminant d’une histoire qui en compte davantage, il occupe la place de dix autres, arrive le premier, crie le plus fort ; il oublie que la liberté revendiquée est pour lui et pour toute la compagnie. Le héros, ici, est autoproclamé, souffre de l’illusion rétrospective qui consiste à relire les faits passés à la lumière de notre connaissance présente ; son entourage, uniquement composé de gueux et de paysans fédérés, déforme la diversité des classes sociales ralliées. Il ne dit rien, en somme, de l’insurrection vendéenne telle qu’elle fut ou dut être, mais en dit beaucoup sur les chimères nationalistes contemporaines qui, en quête de figures tutélaires, investissent le cinéma comme certains aguichent les passants au bord des routes. Du plaisir pour ces consommateurs, certes, bien éphémère pourtant…