Todd Haynes, dans nombre de ses films les plus personnels (Safe, Loin du paradis, Carol…), a toujours aimé les histoires qui mettent à mal les conventions sociales. C’est à nouveau le cas dans ce scénario qui s’appuie sur un fait divers authentique des années 1990, à savoir l’union entre une femme d’âge mûr et un adolescent. Fait divers qu’il n’aborde pas en tant que tel, dans sa révélation scabreuse et scandaleuse, mais en envisageant ses conséquences vingt plus tard et d’une manière indirecte, par le prisme d’une actrice (Natalie Portman) qui se prépare à jouer dans un film relatant cette histoire. Ce regard « décalé » permet à la fois, habilement, de ne pas trop focaliser sur des questions morales et d’élargir la perspective à d’autres considérations, d’ordre psychologique, ou bien sur l’american way of life, ou encore, dans le cadre d’une mise en abyme, sur les difficultés voire l’impossibilité de traduire à l’écran la réalité d’une histoire vécue.
Todd Haynes gratte un vernis social pour laisser apparaître un malaise et des tensions plus ou moins bien digérées. Il dresse un portrait de femme complexe et déroutant (Gracie, magistralement interprétée par Julianne Moore) : femme névrosée, lunatique, passive-agressive, naïve, directive et d’une confiance inébranlable dans ses choix. Il sonde les zones grises d’un couple pas comme les autres, où il est question de désir, d’amour, d’emprise, de conscience, de responsabilité, tout cela en eaux troubles. Quant au jeu de miroir qu’il met en place entre l’actrice et son modèle, au cœur du film, il est également tout en ambiguïtés. Petit jeu intéressé de manipulation alternée.
Il y a globalement beaucoup d’intelligence dans ce traitement d’un sujet délicat et de ses ramifications, pour en faire émerger la toxicité, pour nourrir différentes réflexions sans imposer de point de vue, pour cultiver l’inconfort tout en restant passionnant. Au demeurant, l’ensemble n’est pas d’un niveau égal. Si quelques dispositifs de mise en scène font joliment penser au Persona de Bergman, si la scène où le personnage de l’actrice s’approprie une lettre de son modèle, dans un monologue face caméra, marque fortement, d’autres moments paraissent plus lourds et moins convaincants (la scène entre Joe et son fils sur le toit, celle de fin de soirée entre Joe et l’actrice). On pourrait également discuter d’un certain maniérisme visuel et du choix du leitmotiv musical (un réarrangement d’une composition de Michel Legrand pour Le Messager de Losey), musique très appuyée qui a d’étranges effets, ou très mélodramatiques, ou très ironiques, à l’image d’un film étrange et déstabilisant.