Todd Haynes propose, avec « May December », un film étrange et même déconcertant, qu’il n’est pas très facile de cerner, et donc il n’est pas évident d’en faire la critique. Du point de vue de la forme, si l’on excepte quelques scènes un peu étranges (pour ne pas dire légèrement malsaines), le film est réussi. Todd Haynes rends très bien à l’écran l’ambiance du Sud des Etats-Unis, sa langueur, sa lumière, ses paysages magnifiques qu’on dirait figé dans le temps. J’ai trouvé pour ma part le film un peu long, un peu nébuleux aussi par moment, comme si la torpeur de la Géorgie avait contaminé le film, et un peu les personnages aussi. Gros plans sur les fleurs, les insectes, les cocons de papillons, le film ne manque pas de qualités mais souffre aussi de quelques défauts. La musique est étrangement forte, et surtout elle sonne bizarrement aux oreilles du public français. En effet, le film reprends une vieille musique de film de Michel Legrand qu’en France on connait bien, c’est celle de « Faites entrer l’accusé » ! Coïncidence ou pas (Natalie Portman qui coproduit le film connait très bien la France), cela donne au film une couleur de « fait divers », ce qui, qu’on le veuille ou non, influence le spectateur, tout du moins en France. Porté par trois personnages principaux, le film se repose en grande partie sur la capacité du casting à faire passer à l’écran tous les non dits, les ambigüités, les sentiments ambivalents des personnages. Julianne Moore, qui incarne Gracie, est certainement la plus douée à ce petit jeu. Son rôle est aussi, c’est vrai, le plus complexe.
Femme fragile ou manipulatrice, on n’arrivera jamais à la cerner. Un jour elle irradie de bonheur, puis s’effondre en larmes sans raisons, et presque sans explications. Capable de poser sur ses filles des injonctions perverses (la robe sans manche, la balance) avec l’innocence de celle qui ne se rends pas compte (ou qui fait semblant de ne pas se rendre compte) qu’elle humilie, et aussi qu’elle manipule. Sur son absence de culpabilité, sur sa naïveté supposée, on ne sait que penser, le film ne donnant que très tard des petites pistes à explorer.
La composition de Julianne Moore est très pointue, plus que celle de Charles Melton. Lui a un rôle plus « facile » à incarner, c
elle d’un homme qui n’est pas heureux, et qui refuse de l’avouer.
On ne trouve passif, monolithique, taiseux mais en réalité,
c’est un homme piégé sont la vie à basculé à l’âge de 13 ans et qui depuis, traverse l’existence un peu comme un zombie
. Natalie Portman incarne une comédienne qui cherche à cerner la vérité cachée sur ce couple étrange, telle une sorte de laborantine : elle les pose sur sa plaque de verre et dissèque le couple. Comprend-elle ce qu’elle observe,
ce n’est pas très évident sur le moment mais les dernières scènes laisse penser que oui, elle les a bien cerné
. Reste que « May December » est un film dont j’ai eu du mal à comprendre où il voulait m’emmener. Est-ce une vérité que l’on cherche avec Elizabeth ? Le film s’inspire d’un fait divers célèbre aux Etats-Unis, l’affaire Marie-Kay Letourneau qui fit couler beaucoup d’encrer et vendre pas mal de papier dans les années 90. Le scénario change les noms, le contexte (ici il n’est pas question d’une professeur et de son élève) mais le fond reste le même : un jeune garçon de 13 ans, aussi mur soit-il, est-il en capacité de consentir. Le film flirte avec cette interrogation sans jamais la poser réellement en ces termes. Or qu’on le veuille ou non, en 2023, c’est bien là-dessus qu’il faut creuser. La réalité des sentiments amoureux, le poids de l’opinion publique, celui de la rumeur, la naïveté supposée ou pas de Gracie, tout cela n’est que secondaire. Or j’ai parfois eu l’impression que le film cherchait plus du côté du « secondaire » que du côté du « principal ». Du coup, je ne sais pas trop quoi penser de « May December ». A mes yeux, malgré ses qualités, le film est trop peu lisible, et parfois il met un peu trop mal à l’aise.