En matière de film militant, je dirais même de film militant écologique, pour moi le mètre étalon c’est « Dark Waters ». Et bien je crois que Pierre Jolivet a vu et revu le film de Todd Haynes parce que visiblement, il en a tiré les bonnes leçons. Lui, le spécialiste des films militants, des films coup de poing, il nous propose un long métrage assez passionnant sur le scandale des algues vertes. Il choisi d’adapter directement le roman graphique d’Inès Léraud, en faisant de la journaliste son personnage principal et en racontant sur plusieurs années le combat difficile qui fût (et qui est sans foute encore) le sien en Bretagne. Son film, dont le seul défaut est d’être un tout petit peu trop long et de tirer en longueur sur la fin, explique avec la clarté d’un exposé scolaire pourquoi ces algues vertes prolifèrent en Bretagne, pourquoi elles tuent et pourquoi personne ne veut
(ou ne peut)
s’attaquer au problème. A part quelques petits flashs back, l’enquête est racontée chronologiquement. C’est une enquête journalistique de pure investigation, Inès rencontre untel et untel, cherche des rendez-vous, passe des coups de fils, construit sa réflexion, cherche des preuves, se fait rabrouer, arrive à convaincre ou pas. Rien de spectaculaire, on n’est pas dans un thriller qui ne dirait pas son nom, le suspens est minimal, les rebondissements ne sont pas ébouriffants. Pas trop bavard (un écueil dans lequel il aurait facilement pu tomber), « Les Algues Vertes » ne souffre en réalité que de deux petits défauts de forme à part sa durée : un titre et une affiche sans finesse ni subtilité. Son scénario, en plus d’être clair et de montrer sans fards ni paillettes le travail difficile (voire besogneux) d’une journaliste de terrain essaie au maximum d’éviter le manichéisme. Ca aussi, c’est un défaut dans lequel il est facile de tomber (voir « Goliath ») : mettre bien dos à dos les gentils écolos et les méchants pollueurs, faire de ces derniers des gens sans foi ni loi et asséner le message du film à grand coups de marteau. Or non, ici les problèmes compliqués sont expliqués dans leur complexité. Il y a deux scènes qui exposent bien cette complexité :
la scène ou Rosie (veuve d’un joggeur victime des algues vertes) explique que son village, et au-delà dans toute la Bretagne, tous le monde à un frère, un ami, un père, un oncle qui travaille dans l’agro alimentaire, et que mettre en cause cette agriculture et cette industrie c’est se couper de tout le monde, c’est se retrouver seul dans un combat perdu d’avance. Et puis il y a les scènes avec le conseiller régional, puis député incarné par Jonathan Lambert. Lui, le politique, normalement le professionnel de la langue de bois est finalement presque le seul à tenir à Inès un discours différent : lui ne nie pas la dangerosité des algues, mais il n’a aucune marge de manœuvre pour y remédier. L’aveu de son impuissance est terrible, puisque même le « pouvoir » ne « peut » rien contre les intérêts économiques à l’œuvre. Ce n’est pas dit ainsi mais c’est comme cela que je l’entends : s’attaquer au problème des algues vertes c’est ruiner la Bretagne, donc on fait avec…
A part quelques passages un peu « assénés » comme le licenciement d’Inès ou la virée avec la grosse berline de la FNSEA (qui ne va pas du tout aimer le film), le scénario essaie vraiment de toujours rester dans la subtilité d’une question compliquée et d’un problème à multiples ramifications. C’est sur, on sort de la séance un peu dépité par une question écologique dont on ne mesurait pas la gravité. Forcement, l’omerta étant ce qu’elle est, je découvre un peu l’hydrogène sulfuré des algues vertes à cette occasion, moi qui ne suis pas bretonne. Céline Sallette et Nina Meurisse campent deux héroïnes à mes yeux. La première en journaliste courageuse et la seconde en compagne solidaire. On connait le talent de Céline Sallette qui a déjà incarné ce genre de rôle un peu ingrat avec talent et retenue. Je connaissais moins Nina Meurisse que j’ai trouvée tout à fait juste dans un rôle très bien écrit. Elle incarne la compagne d’Inès,
elle aurait pu tomber dans le cliché de la compagne victime collatérale, négligée et exaspérée, jusqu’à la dispute obligatoire « Tu préfères ton enquête à notre couple, j’en ai assez ! ». Et bien non, Judith est une compagne qui fait équipe, qui soutient, qui console, qui encourage, elle n’est jamais dans la rancœur ou l’égoïsme. Encore un cliché dans lequel Pierre Jolivet n’est pas tombé.
Accompagnées de quelques jolis petits seconds rôles bien écrits, notamment celui de Julie Ferrier, de Jonathan Lambert ou de Clémentine Poidatz, Inès et Judith apportent beaucoup de force et de tendresse dans un film qui aurait pu, sans elles, paraitre aride et peut-être même austère.