Ce film, je l’ai passé à frissonner devant l’écran ! Au-delà de traiter de la panthère des neiges, c’est un film sur le regard et, plus précisément, sur la revanche du regard. En effet, le photographe Vincent Munier était déjà parti au Tibet pour prendre des clichés de la panthère des neiges. Il n’en aura pas la possibilité, du moins pas consciemment. De ce voyage, il prend un cliché d’un oiseau et ne remarque qu’après coup que la panthère est sur le cliché, derrière le piton rocheux, à le regarder, lui, le photographe. Quelle ironie ! Elle l’a vu, mais lui ne l’a pas vu. Il lui faut sa revanche, il lui faut voir de ses yeux vus la panthère des neiges.
Il repart donc pour une nouvelle expédition au Tibet accompagné de l’écrivain Sylvain Tesson et de la réalisatrice Marie Amiguet. Ce film est un film littéraire, ponctué des commentaires de Sylvain Tesson sur notre monde et sur cet ailleurs des animaux. Vincent Munier apprend à Sylvain à mieux regarder ce qui l’entoure, à se rendre compte qu’il est constamment observé par l’animal, l’« autre » comme le dit Sylvain, et que l’Homme a émoussé cette aptitude par manque d’usage. Mais au-delà de savoir regarder, il faut apprendre à lire les traces, les comprendre, savoir ce qu’elle signifie, on est là dans une démarche de sérendipité, celle d’un chasseur-cueilleur d’il y a des milliers et des milliers d’années, le « premier métier du monde ».
L’affût, c’est peut-être ça, c’est savoir voir le monde et savoir le lire. Enorme clin d’œil à la littérature, ici Sylvain a presque une présence symbolique, métaphorique, il est l’écrivain qui doit apprendre à lire le monde. L’affût, c’est un style de vie, c’est l’attente sans objet, l’attente sans réelle attente en fait, c’est s’offrir à tout ce qui viendra, que la chose soit grandiose ou triviale, car au final elle est toujours le symbole de quelque chose de disparu, mais qui a été et qui, peut-être, est toujours là. L’affût, c’est finalement le remède au « ‘tout, tout de suite’ de l’épilespsie moderne ».
Et j’ai été frappé surtout par deux séquences assez semblables au début du film et à la fin : le film vient de commencer et l’on voit Sylvain et Vincent à l’affût, peu à peu la neige s’amasse sur leur capuche ; à la fin, on voit la panthère des neiges, la neige elle aussi s’amasse sur son pelage, elle est à l’affût. Le parallèle est saisissant et construit et achève à la fin cette familiarité étrange qui lie l’Homme à l’animal.