Dans un de ces jardins secrets que l’Homme ne s’est pas efforcé à dompter et dévitaliser, la faune prospère et le temps rétrécit à l’affût d’un regard. La caméra de Marie Amiguet et de son assistant Léo-Pol Jacquot fixe celui de deux hommes, en quête d’un Eldorado organique et spirituelle. Le photographe animalier Vincent Munier, qui a déjà pu se rapprocher du loup arctique, emmène l’écrivain Sylvain Tesson qui se trouve à partager la même proie, mais dont la réception et l’interprétation dépendra de la sensibilité de chacun. Ce qui ne ment pas, c’est bien sûr l’expérience sensorielle ou encore les images, cristallisant la beauté d’une vie, écartée de toute interaction toxique avec la masse des bipèdes, qui ne cesse de bouger et de transformer l’environnement, cela même si ce n’est pas le sien.
Le Tibet regorge de surprises : yacks, antilopes, ours, cerfs, chats sauvages et autres vertébrés. La richesse des lieux vient d’abord de la diversité, mais également de cette courte intrusion de l’équipe d’expédition dans cet espace, dont le spectateur connaît finalement peu les lois et sa mécanique de l’imprévu. À l’heure où le quotidien est rythmé dans la précipitation, on nous invite un moment pour patienter aux côtés des deux hommes et d’apprendre à apprécier de nouvelles sonorités, ou au choix un silence apaisant. La musique de Nick Cave et Warren Ellis prendra alors le relai, dans le but de sublimer l’image et d’élever l’émotion à son sommet. Cela manque parfois de nous émerveiller et que ce soit dans les mots ou les petits facteurs extérieurs, on finit par sortir de la rêverie. La contradiction blesse, mais permet sans doute de mieux faire la mise au point sur les enjeux, une fois replongé dans la fosse.
Les deux aventuriers tiennent ce discours du dépaysement, comme un rétropédalage spirituel et nostalgique, face au quotidien urbain d’où ils proviennent, d’où ils ont grandi. La force de ce documentaire réside ainsi dans le commentaire de Tesson, appliqué dans la transposition de ce qu’il observe et ce dont son corps retient, entre l’usure et l’émotion. C’est un spectacle de liberté qui s’offre à nous, accompagné d’illustrations fabuleux, qui ne manquent pas d’en diversifier les angles et l’approche. Pourtant, il existe une limite évidente dans ce voyage qui ne nous est pas directement destiné, à savoir un format trop bavard, notamment lorsqu’il s’agit de chuchoter trop fort dans les instants clé, marqués par la découverte, marqués par ce qui pourrait être la première et la dernière des rencontres avec des espèces menacées. Un sous-texte de deuil envahit ainsi les citations de l’écrivain, faisant de ce film une extension de son livre éponyme.
Amiguet capte l’obsession de Tesson et Munier pour « La Panthère des neiges », au-delà du mythe et de sa rareté. C’est un voyage qui appelle à déconstruire l’environnement qui nous entoure, afin de s’attarder sur l’invisible, ou du moins ce qui ne saute pas aux yeux au premier abord. Il a fallu à cette équipe une motivation et un effort non négligeable pour atteindre cette oasis glacée et la plus belle des récompenses se trouve déjà dans la conscience, la présence et la bienveillance. On relativise peut-être peu sur le fragment écologique en filigrane, mais on s’engage fièrement dans cette même chasse, qui nous incite simplement à réoxygéner une vitalité qui se dégrade et à s’échapper du confort toxique de la société d’exploitation et de consommation.