On sait.
Quand on va voir ce spectacle – forcément – on sait.
Moi, en tout cas, je savais.
Sitôt j’ai constaté que ce film était à la fois français et à la fois de science-fiction, j’ai su.
Et voir la bande-annonce n’a fait que confirmer ce que je savais déjà.
Effets numériques réussis sans l’être.
Rendu américain sans être pour autant américain.
Du « Moon » ici. Du « Mad Max » là. Et un peu de « Melancholia »…
Oh ça oui ! En découvrant tout ça, je savais ce que j’avais voir.
J’allais voir du cinéma de SF français.
J’allais donc voir du cinéma qui avait de forts risques d’être bancal, immature, pas sûr de lui, copiant beaucoup et n’innovant que très peu…
…Mais j’y suis allé quand même.
Et si j’y suis quand même allé c’est parce que – parfois – au sein de ces agrégats mal maitrisés se trouvent des singularités inattendues.
Des accidents heureux. Des moments de bravoure…
Or, pour le coup, bien m’en a pris.
Parce que oui, ce « Dernier voyage » est bien ce à quoi je m’attendais.
C’est bien un film bancal.
Un film qui ne maitrise pas toujours ses effets et qui la plupart du temps ne sait pas trop où il va.
(D'ailleurs, à bien tout considérer, ce film ne va presque nulle part.)
Plus qu’un film d’auteur, ce « Dernier voyage » est surtout un film de cinéphile.
Les références foisonnent de partout.
Certaines sont évidentes et je les ai déjà citées.
D’autres sont plus subtiles mais tout de même bien identifiables (« Blade Runner », « L’armée des Douze singes » et une bonne partie de la filmographie de Luc Besson…).
L’effet patchwork est inévitable. Les dérapages aussi.
Car c’est tout le problème de ces films à références – surtout quand ces dernières viennent des États-Unis et qu’elles sont mobilisées par un Français – c’est qu’on sent une certaine déférence à l’égard du matériau de base.
On reprend pour soi sans vraiment oser reprendre pour autant.
On respecte trop le modèle d’origine pour pleinement se risquer à le malaxer à sa façon ; selon une sensibilité plus européenne – plus personnelle – si bien qu’on est parfois jamais loin du pastiche ou de la série B…
Seulement voilà, chez moi, ce film, il a quand même fonctionné.
…Et je pense que ça a su fonctionner parce que le jeune réalisateur Romain Quirot a adopté le ton qu’il fallait. Celui de la fable onirique.
Dès le départ de ce film, cette lune rouge nous est très vite présentée comme une sorte de métaphore « mélancholienne », habilement amenée d’ailleurs par une narration et des dessins d’enfant.
Il y a un aspect « Petit Prince » moderne ; voire d’aventure contemporaine de « Tintin ».
Ainsi – d’entrée – le film pose le cadre. Celui de la rêverie infantile. Du fantasme.
…Ce qu’est clairement ce film au regard des ambitions de Romain Quirot.
Car à bien regarder ce film comme un rêve d'enfant - c'est-à-dire un monde dans lequel toutes les questions politiques, sociales et scientifiques n'existent pas - on peut dès lors l'appréhender pour ce qu'il est : un parcours dans un univers imaginaire plus qu'un regard réfléchi sur le monde.
C'est d'ailleurs sur le rendu de cet imaginaire qu'on ressent que l'essentiel des efforts ont été portés.
La volonté de produire des instants formellement enivrants est manifeste et l'évanescence de l'intrigue y participe d'ailleurs grandement.
On sent d'ailleurs qu'à ce petit jeu, Romain Quirot sait ce qu'il fait. Pas manchot dans l’exercice formaliste, il parvient à tirer de son *melting pot* de références de savoureux instants qui réussissent parfois à faire mouche plastiquement parlant.
Et si d’un côté je regrette forcément que le plaisir des sens n’ait pas su être associé à une réflexion de fond ainsi qu’à une intrigue cohérente de bout en bout…
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(Parce que bon, pourquoi Eliott veut-il faire se suicider son frère à la fin ? Pourquoi Paul s’est-il emmerdé à rouler au sol au risque de se faire gauler par la police alors qu’il pouvait voler depuis le départ ? …Sur tout ces points, mieux vaut ne pas trop se poser de question.)
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…D’un autre côté je n’ai jamais manqué de me délecter de chaque cuillerée de cette soupe primordiale qui m’a été ici servie.
Parce qu’en effet, si je devais résumer ce film – qui justement entend nous parler de vie sur Terre – je pense qu’en fin de compte je le résumerais à ça : à une soupe primordiale.
Car non, ce film n’est pas un chef d’œuvre, loin de là. Et à bien tout prendre, il ne ressemble pas à grand-chose.
Seulement voilà, tous les composants des meilleures pièces du genre sont quand-même déjà là.
Il y a l’envie. L’audace. Et de vrais instants de maitrise.
Ici et là apparaissent d’ailleurs déjà de belles singularités.
Moi par exemple, ce personnage d’Elma – sorte de Mathilda post-apo tout droit tirée du « Léon » de Luc Besson – il m’a touché.
Délicat. A fleur de peau. Jouant sur le même type de tension sexuelle ambiguë…
J’ai aussi beaucoup apprécié ces insertions de culture bien franchouillarde dans cet univers aux allures pourtant bien américaines : de la vieille Peugeot à la cabine à touches en passant par du Bruno Lochet, du Jean-Luc Couchard et de la « fille aux yeux menthe à l’eau », c’était justement ce genre de combinaisons improbables que j’étais venu chercher.
Parce que cette improbabilité, Romain Quirot semble l'assumer.
Mieux que cela, elle semble même vouloir la porter au cœur de son film.
Car au fond de quel dernier voyage parle-t-on si ce n'est de celui d'un enfant qui a trop grandi pour rester dans ce futur fantasmé ?
Fini les rêves d'astronautes et de monde sauvés. Il faut savoir tuer l'enfant comme d'autres tueraient le père.
Tuer l'enfant certes, mais sauver malgré tout ce monde imaginaire - cette lune rouge - et la garder en soi car au fond c'est elle qui est porteuse de vie.
« Dernier voyage » c'est un peu ça. C'est même intégralement ça.
C'est le contenu d'un carnet d'enfant qu'on déterre et qu'on scrute avec un regard de jeune adulte.
Et si d'un côté on peut désormais comprendre désormais mieux les crispations du père face aux élucubrations d'un jeune garçon bien intentionné mais peu au fait des cruautés du monde adulte, de l'autre on regrette qu'on nous ait ainsi pousser à enterrer tout un monde comme celui-là.
Un monde certes naïf et parfois ridicule. Mais un monde inventif et enchanteur à la fois.
La base de toute une poésie sincère et décomplexée...
Alors certes, j'entends qu'en retour on puisse être écœurée de cette soupe primordiale faite d'éléments rustres et basiques.
Mais justement, Romain Quirot n'avait-il pas besoin de ce dernier voyage d'enfant pour nous revenir plus tard comme un nouvel adulte, plus mature et plus mûr ?
Assumer la maladresse et les références pour faire accepter la poésie qui s'y trouve aussi ?
Car l'air de rien, cette poésie de Romain Quirot, elle n'a pas été sans me rappeler une autre œuvre de SF française sortie quelques années plus tôt : la série « Missions ».
« Missions » c’était vraiment dans le même état d’esprit. Ça sortait de nulle part. C’était *cheap*. Ça singeait maladroitement les Américains. Mais c’était néanmoins capable de produire de temps en temps quelques idées bien senties.
A sa façon, c'était aussi la soupe primordiale d'un biome potentiellement riche et nouveau.
Or « Missions » c’était un coup audacieux qu’on devait déjà à « OCS France » ; le même « OCS » qui a produit ce « Dernier voyage ».
(Une production dans laquelle on retrouvait déjà le très habile Etienne Forget à la musique.)
Or, moi, quand je vois le progrès déjà accompli en seulement quelques années, je me dis qu’il peut encore en ressortir des belles choses de cette soupe primordiale...
...Et que ce dernier voyage n'est peut-être finalement que le début d'une nouvelle aventure qui n'attend que de mûrir pour mieux proliférer.
Tout ça, moi, ça me rend soudain plus confiant en l'avenir...
Et face à cette singulière lune rouge, je me surprends à sourire, au point d'en espérer d'autres...
...au point d'espérer d'autres créatures jaillissant de ce prometteur substrat...