Il est aussi subtil d’évoquer de quoi nous nous nourrissons que de ce qui nous consume. Michael Sarnoski embrasse ce concept avec une certaine élégance, dans un premier long des plus honorables et en de très bonnes compagnies. En y injectant ses thématiques personnelles, il met en place le parcours d’un homme, loin d’être le héros ou la caricature martiale d’un John Wick. La comparaison est facile dans les premiers instants, jusqu’à ce que l’on enlace le deuil et son chagrin, à coup de plats cuisinés, tantôt avec passion, tantôt avec nostalgie. Voici les ingrédients que l’on retrouve, parsemés entre le parfum des bois et la rugosité de la ville, où Nicolas Cage revit à l’écran. Et ce serait mentir, si l’on ne se déplaçait pas pour son nom sur l’affiche, car le pari en vaut la chandelle.
Il y interprète Robin, installé dans une forteresse de solitude, aux côtés de son cochon truffier et de son cabanon. Sa structure est à l’image de son physique, épuisé par les saisons de moissons qui s’enchaînent avec fureur. La truffe serait le point de départ de cette reconquête de Portland, mais ce sera au détour d’un drame familiale et intimiste. Trois hommes cultivent cette même matière brute, qui en fait à la fois leur gagne-pain, pour Robin c’est littéralement le cas, et leur chagrin. À la disparition de l’animal, ce dernier ne succombe pas au vertige de la ville afin de récupérer ce qu’il lui reste de plus cher. Les révélations s’enchaînent ainsi, dans un terrain miné de souvenirs heureux, mais souvent douloureux. Les protagonistes se retrouvent donc ainsi confrontés à leur peine, que chacun gère à sa manière. Amir (Alex Wolff) est ce petit-enfant, qui rêve d’exister en dehors de l’influence paternel, qui le domine hélas, jusque dans son business. Mais ce sera sans compter sur une étonnante complicité qu’il retrouvera foi en l’esprit de famille qu’il a longtemps étouffé.
Les pas de Robin résonnent dans le bon sens du terme, bien qu’il faille aller valser dans une cave à la Fight Club, où la frustration semble être l’intérêt et le loyer principal. Et quand bien même il lui arrive de saigner, il ne renonce pas à ses valeurs, ce qui rend sa quête encore plus tragique et émouvante. Un point dominant du récit nous emmène dans un restaurant, où la cuisine moléculaire bat son plein. Le créateur derrière ces manœuvres absurdes peut en perdre la raison, c’est pourquoi Sarnoski use d’un discours pessimiste afin de justifier la détermination de son personnage et la désillusion de son entourage. L’approche méta resitue ainsi Cage dans un environnement qui n’aurai plus rien à lui offrir et pourtant tout y est pour qu’il y retrouve dignité et légitimité. L’astuce est du côté de Robin, qui trouve aussi bien les mots que la cuisine pour contourner les obstacles qui le séparent de son bonheur, ou peut-être simplement de la paix intérieure.
« Pig » est une œuvre qui apprécie de questionner chaque coup donné et donc encaissé. La vie n’est pas tendre pour ceux qui résistent, ni ceux qui tentaient d’y survivre. Fuir le passé ou l’environnement toxique qu’on lui associe rend imperméable aux émotions et à l’humanité, qui semble avoir quitté les hommes de cette odyssée. Pourtant, une pincée de désir et une touche poétique les préserve d’une fatalité, dont on cherche inévitablement à repousser l’échéance. Les planches de Deauville ont ainsi pu réconcilier Cage avec le cinéma (indépendant), celui qu’il aime et celui dont il a besoin afin de nous rappeler qu’il reste toujours un grand acteur, d’une sensibilité remarquable. Le film réussit également à rappeler que le goût du succès suffit amplement à se reprendre en main et c’est ce qu’on lui cédera volontiers.