Été 85, brièveté d’un titre et ampleur du sentiment amoureux vécu et retranscrit. De toute cette défilade de sentiments universels qui se suivent, se touchent et se superposent, comme deux corps incandescents sous un soleil brûlant. François Ozon n’a pas son pareil pour filmer l’adolescence, cet âge de transition et d’exploration de soi par le biais de l’autre : Dans la Maison, Jeune et Jolie, Été 85. À chaque fois un cadre scolaire, apparemment distant mais essentiel en ce qu’il libère et figure les êtres qu’il façonne et modèle selon des exigences académiques, selon les exigences d’un professeur particulier, unique en son genre. Aussi son dernier long métrage propose-t-il une réflexion sur la notion d’invention, qu’il envisage à trois niveaux. La première invention concerne celle du cinéaste : il s’agit de recréer une époque, de reformer un été et une année avec sa culture artistique, ses mentalités, le grain de son image en 16mm. Inventer l’été 85, à partir d’une œuvre littéraire – Dance on My Grave signé Aidan Chambers – et de ses propres souvenirs. Inventer une temporalité fictive, à mi-chemin entre l’historique et le biographique, tous deux ressaisis par la fiction qui concrétise et permet l’exploration, à l’instar des montagnes russes dans lesquelles, par l’artifice d’un train lancé sur des rails, tout s’accélère, un mouvement naît. Ozon raconte un été et se raconte en été 85 (ou 84 selon ses dires) par le prisme de ses personnages et des situations qu’ils vivent. Voici venir le deuxième niveau de l’invention : inventer autrui en projetant sur lui ses fantasmes propres, ses désirs ses angoisses et ses frustrations. Nous retrouvons l’influence des thèses psychanalytiques chères au cinéaste, travaillées par le long métrage avec de nombreux symboles un peu trop présents et appuyés – entre les deux adolescents sur le lit est placardée au mur une illustration d’Anubis embaumant un mort, le crâne de la vanité comme prolongement d’Alex par ligne de fuite etc. –, comme si Ozon, par peur d’une incompréhension, tenait son spectateur par la main pour le rassurer pendant le voyage. Il manque peut-être à son long métrage une spontanéité ou une illusion de spontanéité : tout est là pour signifier. Nous aurions aimé davantage nous perdre en compagnie de ce trio d’adolescents, que magnifient des parents interprétés à la perfection, mention spéciale à Isabelle Nanty, bouleversante ici. Malgré cette lourdeur démonstrative, le cinéaste pense de manière remarquable le vertige devant l’inconnu, ce gouffre qui sépare des êtres certains de se connaître, mais ignorants parce que différents parce que singuliers. Été 85 est un grand film sur la douleur du dialogue à l’heure du tout-numérique, un film qui, comme chez Éric Rohmer par exemple, accorde beaucoup d’importance aux échanges (verbaux et corporels) et à la dynamique qu’ils construisent entre les protagonistes. Inventer les gens qu’on aime, voilà une idée qui aussitôt prononcée frappe l’esprit du spectateur pour le confronter à un versant de la réalité auquel il n’avait pas accès jusqu’alors. À ce deuxième niveau se superpose un troisième : s’inventer par l’invention. Car que raconte Été 85, sinon l’initiation à l’écriture et la naissance du geste littéraire ? François Ozon a parfaitement compris ce qu’est, au plus profond d’elle-même, la littérature : un dialogue de soi à soi par le biais des autres avec la fiction comme garde-fou. Swimming Pool, Dans la Maison le montraient déjà. Pour écrire il faut avoir vécu. Prendre la machine à écrire, noircir le vierge de la page avec des caractères et des mots, se ressaisir par la fiction, devenir enfin un personnage, le personnage de sa propre histoire. On se souviendra longtemps de cet Été 85, de sa romance douloureuse, de son initiation à l’existence, de ses acteurs resplendissants qui n’ont pas peur de jouer, rappelant au passage les jeunes comédiens des années 80, de ses plages musicales enivrantes qui diffusent une nostalgie à laquelle, enfants des années 80 ou pas, nous vibrons à l’unisson.