Il y a dans ce film l'évidente candide beauté de deux acteurs aux toutes jeunes années, et le charme puissant d'un récit très écrit, tout écrit (situations typées, personnages et allures hyper-caractérisées, dialogues romanesques un peu apprêtés). Ce n'est pas une vie détachée du quotidien, extraite et prélevée du réel, qui est désignée par l'image mouvante : Ozon choisit de tracer l'affaire d'un destin. C'est littéralement un "roman" mis à l'image. Voici donc, pour ce qui est du style, un roman d'initiation renouvelé, avec sa drôlerie et son drame. Tout cela est neuf et cela vaut d'être souligné : une machine flaubertienne qui aborde un littoral maritime dans les années 1980 (sans lieu clairement désigné), une rencontre gay, les parents décalés des protagonistes (trop parents ici, trop peu parents là), des papiers peints et des chemisettes rétros comme il faut, et évidemment ce "Coeur simple", Alex(is), qui n'en finit pas de fondre : d'un amour éperdu et d'une tristesse folle et digne à la fois. Nous voici, spectateurs, passée la théâtrale scène du naufrage initial, à naviguer aux confins d'un récit intime, qui surfe entre témoignage, fable et tragédie.
Amour et liberté. L'amour (d'Alex pour David) est-il une révélation ou une invention ? L'histoire/destinée est elle à l'avance inscrite en nous ou jamais encore tracée ? Quel traitement faire à ces drôles de graines vivantes-vivaces qui poussent en nous sans raison, sans pourquoi, comme ceci ou comme cela, qui se manifestent ainsi : doutes, joies, peurs, envies, excitations, émotions, demeurant cependant toujours "insensées" ?
Bonheur et art. Ozon rappelle qu'il n'est pas nécessairement pertinent de vouloir comprendre l'incompréhensible. Nietzschéen d'une certaine façon, il invoque la possibilité de danser sur la cime de ces questions résolument irrésolues. Sur ces contrées existentielles ou psychanalytiques, Ozon répond par la force délicate d'une plume fragile et ferme, laissant à l'art l'occasion de son envol, et c'est magistral.