Comme le faisait remarquer, ces jours-ci, sur son blog, le critique de cinéma Pierre Murat, 2019 fut marqué, entre autres, par l’excellence des films venus de Chine jusqu’à nos grands écrans. La qualité indéniable de la production cinématographique de ce pays se confirme brillamment, dès le début de 2020, avec la sortie de Séjour dans les monts Fuchun, d’ailleurs présenté comme le premier volet d’une trilogie qui promet, d’ores et déjà, d’être passionnante.
Malgré la censure toujours en vigueur du côté de Pékin, les cinéastes chinois font preuve d’une habileté des plus remarquables pour donner à voir les réalités complexes, parfois antinomiques, de leur pays. Nouveau venu dans le 7ème art, Gu Xiaogang non seulement n’échappe pas à cette règle mais l’affine au point qu’on a le sentiment d’avoir affaire à un cinéaste chevronné. Or il s’agit bel et bien de son premier film ! Voilà qui est pour le moins prometteur.
Le titre se réfère à un rouleau peint au XIVème siècle par un ermite qui s’était retiré dans cette région des monts Fuchun. De nos jours, la belle vallée désertique de jadis s’est transformée en un centre urbain en pleine mutation. La ville, certes encore entourée d’îlots de verdure, se renouvelle de fond en comble : des immeubles, des quartiers entiers, sont en cours de destruction tandis que d’autres s’érigent. Quantité de projets immobiliers émergent, avec une nouvelle ligne de métro. Seul le fleuve Fuchun, qui traverse la métropole, semble avoir échappé au cours du temps. Mais ce n’est qu’apparence car ce fleuve, réputé autrefois pour l’abondance de ses poissons, a été si malmené par les pollueurs ou par des systèmes de pêche inconsidérés qu’on ne peut plus guère y attraper de quoi sustenter grand monde.
Cette réalité, Gu Xiaogang la montre tout en s’attachant à suivre les différents membres d’une des familles qui y résident. La scène d’ouverture nous les présente rassemblés à l’occasion de l’anniversaire de l’aïeule du clan. La fête est joyeuse mais s’interrompt brutalement lorsque cette dernière, peut-être sous le coup de l’émotion, doit être transportée à l’hôpital du fait d’une attaque cardiaque. Quoi qu’il en soit, nous avons pu apercevoir celles et ceux dont le cinéaste s’attache ensuite à évoquer les parcours. Ils sont à l’image de leur ville, marqués par le passé et les traditions tout en étant fortement confrontés au monde moderne, à ses tentations et aux changements de mentalité qui surgissent inévitablement.
Les quatre fils de l’aïeule dont on célébrait les 70 ans au début du film sont tous confrontés à des difficultés et contraints à prendre d’importantes décisions. Aucun ne roule sur l’or. L’aîné, qui tient un restaurant, se décide, malgré les réticences de son épouse, à prendre chez lui sa mère qui perd de plus en plus la mémoire, lorsqu’elle sort de l’hôpital. Un autre fils, pêcheur, est obligé de trouver refuge jour et nuit sur son bateau, avec sa femme, depuis que l’immeuble dans lequel il résidait a été détruit. Un autre essaie de s’en sortir financièrement en organisant des jeux clandestins, tout en ayant la charge d’un fils trisomique. Tous sont dépeints par le cinéaste avec bienveillance, malgré leurs défauts petits ou grands, ce qui les rend, à nos yeux de spectateurs, très attachants. Mais celle qui émeut le plus, avec le jeune trisomique, c’est Gu Xi, la fille du restaurateur. Le garçon avec qui elle veut se marier, un enseignant sans le sou, ne convient pas à sa mère qui, comme la jeune fille s’obstine, va jusqu’à la rejeter impitoyablement. En un long travelling, saisissant de technicité mais surtout de beauté, une pure merveille de cinéma, le réalisateur avait pris soin de nous montrer la naissance de cet amour : cela se passait au cours d’une promenade au bord du fleuve.
Le garçon avait parié qu’il ferait une longue partie du trajet en nageant, tandis que son amie le suivrait sur la rive. Il s’exécute et tous deux se retrouvent une fois l’exploit réalisé, reprenant leur marche ensemble jusqu’à un navire
. La caméra ne les quitte pas un seul instant : c’est une scène belle à tomber !
Arrivés au bout de ce superbe film, qui dure 2 heures 30, c’est à regret que nous en quittons les personnages, mais déjà heureux à l’idée de les retrouver quand sortira le deuxième volet de la trilogie.