Encore un film chinois d'une grande ambition..... puisque cette fresque de presque trois heures ne serait que le premier volet d'une trilogie. On est cependant aux antipodes de l'univers de Diao Yinan. Les trois principaux acteurs du Lac aux oies sauvages, le héros, sa femme et la baigneuse, étaient d'une grande beauté -mais d'une beauté à l'occidentale, nez droit et fin, grands yeux.... Le cinéaste, c'est sûr cherchait l'approbation du public occidental. Le très jeune Gu Xiaogang au contraire nous montre des Chinois du tout venant, des Chinois de la rue, il a fait tourner des non professionnels: famille, amis, personnes rencontrées au hasard. Il y a au début du film un très long "plan-séquence" qui dit tout: un jeune homme remonte à la nage (il nage comme un chien....) le cours de la rivière Fuchun. Son amoureuse marche sur la rive..... On dirait un de ces rouleaux interminables que l'on suit des yeux, admirant la succession des pins, des oiseaux pêcheurs -et des pêcheurs- des barques, des petits temples... Séjour dans les monts Fuchun est d'ailleurs un de ces rouleaux (six mètres de long....), du à Huang Gongwang, visible au musée de Pekin..... ou sur Google!
Et devant ce décor de la Chine éternelle, il y a celle d'aujourd'hui, dans une ville moyenne comme Fuyang, où le réalisateur a grandi, car sur l'autre rive du vaste fleuve, c'est la grande ville où on détruit frénétiquement les vieux quartiers pour construire des immeubles de trente étages avec toute la modernité.
Mais la Chine éternelle, tenace, elle résiste à la modernité par l'importance qu'elle confère toujours à la famille. Voilà que le film commence, dans un restaurant, par une de ces grandes fêtes où amis, voisins, parents éloignés, sont tous invités: les soixante dix ans de la matriarche, entourée de ses quatre fils et de ses petits enfants.... mais elle a une crise cardiaque dont elle sort à demi démente, et désormais à la charge des fils; on va suivre de près, essentiellement trois d'entre eux. L'aîné possède un restaurant plutôt agréable, avec sa femme qui tient la caisse et porte aussi, semble t-il, la culotte. Elle a trouvé un bon parti pour sa fille -l'amoureuse du début, et ne veut pas entendre parler de ce petit prof au salaire de misère, même pas capable de se payer un de ces magnifiques appartements dans les tours, qui font rêver.... Elle s'occupe de la belle mère avec dévouement -s'occuper des anciens est sacré! mais une certaine âcreté.
Le second est pêcheur professionnel. Le logement familial a été rasé, il va en tirer un bon profit, en attendant il vit avec sa femme sur le bateau -une barquasse ouverte à tous vents, à la neige, à la pluie, comment ne pas admirer l'extraordinaire résilience des Chinois.... Et puis, eux, ils ont un fils, un grand dadais qui va épouser une bonne fille....
Enfin, le troisième est le mouton noir. Il ne fait que des bêtises, emprunte de l'argent (en particulier à frère aîné), participe à des affaires foireuses, joue à des parties truquées dans des tripots clandestins, a donc contracté des dettes envers la pègre, que frère aîné pourrait éventuellement régler..... mais il n'est pas rejeté: c'est la famille! Et ce père monoparental s'occupe admirablement de son fils trisomique. Admirons aussi la façon dont cet ado très atteint reste le bienvenu...
On passe sans cesse des uns aux autres de façon assez décousue, pas toujours facile à suivre, surtout que pour nous autres occidentaux, rien ne ressemble plus à un Chinois..... qu'un autre Chinois. Mais on ne trouve pas le temps long, parce qu'on s'installe dans ce déroulement des saisons, un hiver terriblement neigeux succédant à l'automne; dire la beauté du noir et blanc des frondaisons enneigées.... comme dans les encres chinoises.