"Papicha" veut dire en algérien "jeune fille coquette" et est souvent utilisé par les garçons, quand ils cherchent les faveurs d'une demoiselle. Mais ce petit groupe d'étudiantes est bien plus que de jolies Papicha. Elles sont des militantes libres, passionnées, éprises de liberté, dans une Algérie des années 90, qui voit l'émergence de groupes religieux radicaux et la multiplication d'attentats terribles, ayant pour objectifs d'imposer l'idéologie salafiste et d'accéder au pouvoir. Dit comme cela, le portrait de cette Algérie semble simpliste. C'est au contraire tout le talent de la réalisatrice, Mounia Meddour, qui connaît bien le pays de l'intérieur, que de donner à voir une nation pays magnifique, complexe, s'aménageant des espaces de vie, entre une fin de la colonisation française toujours pas digérée, la tentation d'un totalitarisme religieux et la volonté de ses habitants de s'inventer une existence paisible et heureuse.
Nedjma, incarnée par une Lyna Khoudri tout en légèreté et puissance à la fois, est le personnage central de ce récit. Elle étudie les lettres dans une université d'Alger, aujourd'hui abandonnée, et habite une cité universitaire féminine, avec des copines, sinon sublimes, en tous les cas déterminées à faire de leur vie un projet de liberté. Elles s'esquivent le soir dans des discothèques, prennent soin de leur corps et de leur visage, et surtout acceptent de devenir les mannequins de la collection de vêtements que Nedjma dessine chaque jour. La réalisatrice a certainement trouvé dans ce portrait d'une jeune artiste couturière un écho à son propre parcours de cinéaste algérienne. Il y a une candeur presque sublime qui pousse cette jeune femme à réinventer sa vie et trouver un sens dans la création, malgré un contexte politique et social des plus violents. On souhaiterait presque que tous les jeunes gens dont les parents ont suivi un parcours de migration depuis le Maghreb vers la France, regardent ce film. En effet, "Papicha" rend hommage à des femmes combatives, résistantes contre la facilité religieuse et l'hégémonie masculine.
Mais "Papicha" n'est pas qu'un film politique. C'est un récit qui fait l'éloge d'un pays, l'Algérie, absolument magnifique. Il y a cette langue d'abord, pétrie d'algérois et de français, qui parcourt le film et lui donne une coloration toute particulière. On découvre, non sans délectation, le plaisir d'un langage qui s'amuse du monde et amplifie les événements d'une douce poésie. Il y a surtout ces paysages superbes où l'on reconnaît le charme des villes orientales, les bords de mer très bleus et le soleil qui se mire dans les montagnes. Le spectateur est invité à prendre le thé avec les personnages, à déguster des beignets, et à rêver un Maghreb dégagé de ses tensions internes. Mounia Meddour aime son pays. Elle le sublime grâce à une photographie très soignée. Ses personnages féminins sont filmés comme des icônes au service de tout un pays qui n'est que grâce, tout comme soudain, il peut sombrer dans la tyrannie et la colère. En ce sens, "Papicha" utilise le cinéma pour témoigner d'une histoire cruelle, que la force de quelques jeunes femmes libérées a permis de sauver du pire.
Voilà donc un véritable événement cinématographique de ce printemps 2019. Il est fort à parier que Lyna Khoudri continuera d'habiter la carrière de la réalisatrice, tant elle donne à voir une véritable osmose sur l'écran. Ce premier long métrage est un coup de force, au milieu d'un paysage cinématographique qui offre beaucoup d'espoir sur le devenir de nos sociétés portées par des femmes militantes et intègres. Le film constitue un immense chant d'amour pour un féminisme mesuré, au service de la liberté et du droit à être soi.