Une première cannoise réussite est une première qui ose tout et qui mesure tout par son propos et sa forme qui l'enrobe. Le second long de Kogonada coche toutes ces cases, avec un bonus certain à sa mise en scène soignée et en accord parfait avec son ambiance à la fois relaxante, ténébreuse et dynamique. De cette manière, il concilie plusieurs genres, sans qu'ils ne se fassent obstacle, sans qu’ils ne se dénaturent les uns des autres. C'est un paradis perdu, au cœur d'une "réalité virtuelle" qui nous interpelle, car nous y sommes déjà plongés. Le numérique est partout et les donnes prennent bien des formes inattendues. Mais comment ce genre d'information nous connecte les uns aux autres et comment peut-on y percevoir notre culture, nos origines et nos sentiments, constamment assistés par la présence d'une technologie omniprésente ? L'œuvre y répond avec grâce et sagesse.
De nombreuses familles recherchent une forme de synchronisation, une harmonie parfaite, une symétrie parfaite. C'est ainsi que l'on ouvre sur l’une d’elles, dont on apprend la perte de l'un d'eux. Oui, l'un d'eux. Ce sont des mots que le réalisateur apprécie manier à leur juste valeur, que ce soit dans une ouverture électriquement pop ou dans la sérénité des infusions de thés. Tout est une affaire de symbole, une affaire de famille, morcelée par la diversité, mais unis dans une étroite bulle, qui les ramène toujours à Yang. Fils admirable, grand frère admirable, le récit nous interroge sur sa condition de vie et de la conception qu'il a de la vie. Un détour par les réplicants de "Blade Runner", ou encore par "Her", n'est pas anodin, mais ce que l'on cherche à capter, ce sont les sentiments qu'il aura parsemés, tout le long du deuil familial.
Le techno-sapien est avant tout conçu comme une boîte à données, mais dont la nature flirte à la frontière de l'amour et de la dépendance qu'il représente. Yang (Justin H. Min) constitue ainsi un miroir, celui de l'Homme, émotif et qui recherchera sans cesse à combler une affection. Mika (Malea Emma Tjandrawidjaja), est une fille adoptée, qui a elle-même adopté son frère, un accompagnateur, un confident. Il est le noyau fort d'une famille qui tient absolument à l'inscrire dans son histoire. Une photo dans les champs et une compétition de danse ne sont que des illustrations mineures qui justifient sa présence et sa mutation au cours de sa traversée du désert. Et par le biais de Jake (Colin Farrell) et de son épouse Kyra (Jodie Turner-Smith), nous avons le sentiment fort de projeter ce besoin de réparer l'androïde, afin de rétablir l'équilibre. Les choses ne sont donc pas si faciles dans cette brumeuse aventure, qui n'hésite pas à se heurter au thriller ou à la romance, sans oublier son éveil de conscience comme point de départ.
Ainsi, c'est dans la fraîcheur et une originalité à mordre une grosse par de réflexions sur la base de données sentimentales. "After Yang" transpire de passion de bout en bout et ne laisse aux protagonistes que l'espoir et la mélancolie pour se délivrer. Ce curieux mélange lyrique et savoureux accepte ainsi sa part de condition humaine, finalement affectée par l'entité numérique, qu'elle chérit, qu'elle partage et qui rend souvent service et soulagement à ceux qui comprennent le point de vue de l'émancipation.