Le cinéma de Kôji Fukada trouve à présent plus de cohérence et de consistance, dès lors que le mystère qu’il entretient caresse davantage son ambiguïté. Dans la lignée de son succès cannois « Harmonium », le metteur en scène japonais frappe de nouveau là où on ne l’attend pas, à savoir dans le reflet de ses personnages. Il reste fasciné par deux entités féminines, mais c’est bien l’héroïne qui dominera le récit, au détriment de nous autres spectateurs, qui chassons allègrement chaque indice nous permettant d’identifier les enjeux. Mais ironiquement, le réalisateur se permet de nous laisser quelques coups d’avance, afin de mieux briser les apparences et l’équilibre d’une société. Le hasard peut bien faire les choses mais il ne saura pas libérer les protagonistes de leurs doutes et de leurs désirs.
Un changement de coupe nous introduit d’entrée de jeu deux temporalités complémentaires. De cette décision en découle une narration d’une effroyable précision chirurgicale, bien qu’il faille patiemment attendre la mise en place avant que tout finisse par imploser. Cela nous permet tout de même de nous familiariser avec Ichiko (Mariko Tsutsui), l’aide-soignante à domicile, d’une grande précaution et d’indulgence, si bien qu’on nous donne de la matière à travailler comme des raisins dans un pressoir. Pourtant, elle possède deux faces, deux images ou deux identités. S’agit-il de la considérer pour ses compétences ou pour sa maternité remise en cause ? Tout l’œuvre nous questionne sur ces possibilités, bien que l’on s’accorde à nous raconter le strict minimum, du moins dans les maigres échanges verbaux. Le plus important réside dans un non-dit méticuleux et le thriller psychologique nous apparait plus évident au fur et à mesure.
Comme pour la grand-mère au bout de son existence, le réalisateur ne reste pas sénile mais patiente juste assez pour ajuster son puzzle auquel nous participons inconsciemment. L’exemple du cadrage et de l’inertie des personnages dans le plan justifient toute cette tension qui se relâche peu et qui coïncide avec un malaise certain. En utilisant le décor pour resserrer encore plus le cadre, Ichiko finit par étouffer et ne peut plus accéder à l’horizon qu’elle s’est initialement accordée. Son opposition à Motoko (Mikako Ichikawa), l’une des petites-filles de sa patiente, suggère tout un élan de curiosité, mais également tout un mécanisme qui entraine un tapage médiatique, qui tombe ironiquement à pic, question de crise sanitaire. Un parallélisme prend ainsi forme et qu’on l’anticipe ou non, il fera du bien par là où ça passe.
En somme, l’intrigue s’est contextualisée dans la confusion et soudoie même l’émotion de rester à l’écart, quelque part entre nos yeux attentifs et un écran trop petit pour des personnages aussi complexes. La dualité caractérise ainsi une femme qui tente d’exister au sein d’une famille, mais refuse pourtant de l’épouser jusque dans la folie des passions. Et c’est là que réside toute la pertinence du discours sur les vertus japonaises que l’on éclipse souvent sous des apparences, tantôt trompeuses, tantôt ravageuses pour autrui. C’est pourquoi « L’Infirmière » ou dans son titre original « Yokogao », qui se traduit par « de profil », porte bien son nom, car concorde humblement avec une composition hémisphérique d’une société amputée de sa crédibilité et de sa confiance.