On n’adapte pas un poème arthurien du 14ème siècle comme n’importe quel bouquin de Barjavel ou de Marion Zimmer Bradley ! Si Arthur tenait du lad cockney chez Guy Ritchie, celui de David Lowery évoque davantage une image pieuse et souffrante. D’ailleurs, ce n’est pas même pas lui qui importe dans le récit mais son neveu Gauvain qui accepte le défi incongru de ce Chevalier vert surnaturel qui s’est invité à la cour d’Arthur : lui porter un coup en duel et accepter un an plus tard de recevoir un coup de même puissance. Evidemment, Gauvain, un peu honteux de n’avoir jamais accompli aucun exploit, tranche la tête de son adversaire et se retrouve bien embêté…mais pas tant que ça car dans la conception médiévale, l’honneur est ce qui doit guider le chevalier dans sa quête, bien plus que l'instinct de préservation. On pense parfois à ce qu’allait offrir Robert Eggers un peu plus tard avec son ‘Northman’, une parfaite illustration de la perception moyenâgeuse du récit héroïque, avec sa saga qui se déroule visiblement dans une région assez circonscrite mais où l’imagination et la foi du héros dans un monde intangible et surnaturel fait apparaître monstres et merveilles à la moindre épreuve. Ici aussi, si les paysages et les décors sont magnifique : ils infirment définitivement l’idée selon laquelle il faut du budget pour créer une atmosphère Fantasy qui vaille : non, il faut juste des compétences et du goût. Il est difficile d’affirmer avec certitude que les géants, les spectres aux paroles sibyllines et les animaux parlants existent ailleurs que dans l’imagination de Gauvain, seul, égaré, épuisé et marchant au-devant d’une mort certaine. D’ailleurs, ‘The green knight’ déploie tout un sous-texte symbolique assez fascinant, au point qu’il devient parfois compliqué de différencier la vision induite par le bagage religieux et culturel de l’acte prosaïque, le rêve lucide de l’allégorie. La volonté du scénario, à l’instar du texte d’origine, est de dépeindre l’affrontement des deux mondes, celui de l’ordre établi et de la volonté de perfection visée par le christianisme contre celui du désordre, des passions et de la faiblesse humaine qu’incarne la Nature. Lent, syncopé, onirique, utilisant une langue très livresque, ‘The green knight’ ne s’adresse pas à tous les publics, dès lors qu’il ne s’agit pas simplement de la mise en image d’un texte ancien mais d’une approche et d’une interprétation visuelle contemporaine d’un schéma de pensée et de réflexion tout droit venu du Moyen-âge, et dès lors parfaitement étranger à tout ce que nous croyons savoir du monde et de la raison. Pour ma part, ‘The green knight’ est l’une des oeuvres les plus audacieuses et stimulantes que j’ai eu la chance de regarder récemment, tant elle me rappelle, dans le tourbillon de symboles religieux et païens et de métaphores troubles qu’elle génère dans son sillage, les chefs d’oeuvre les plus abscons de Jodorowsky.