Il est particulièrement difficile pour un réalisateur athée, ou qui du moins se déclare comme tel, d’investir une matière aussi saturée de religion que la chanson de gestes médiévale. Car aussi complexe puisse paraître le réseau symbolique d’une œuvre souvent fragmentaire et issue de réécritures voire de recopiages par moines interposés, il n’en demeure pas moins lié à la Bible ; toute opacité textuelle, tout personnage à valeur métaphorique allégorique de quelque chose, toute couleur revêt soit une signification précise soit un sens ouvert à l’interprétation d’un lectorat érudit et, surtout, chrétien. Or, David Lowery, en parfaite incarnation d’un temps fermé sur les croyances traditionnelles mais tributaire de récits et de valeurs qui ont nourri ses socialisations, place sa foi en ce qu’il faudrait appeler l’image allégorique d’elle-même, qui tire d’elle sa propre référence – et non pas seulement autotélique, puisqu’elle demeure, comme l’art, sa propre fin.
Dès lors, la relecture qu’il propose de la chanson mettant en scène Gauvain et le Chevalier vert ne peut que souffrir de cette carence en credo, entendu à la fois comme faiblesse visuelle d’une défilade de plans très beaux mais sans inspiration – comprenons, sans souffle, sans âme – et comme désintérêt pour l’univers chrétien qui l’a engendré. Le long métrage applique donc une vectorisation curieuse : reconstruire par un soin porté aux costumes, à la lumière, aux décors un Moyen Âge visuellement fidèle, mais en déplacer l’essence depuis l’omniprésence de Dieu vers son évincement total. Preuve de cela, la clausule capte le chevalier devenu roi dans sa solitude profonde, et la destruction alentour lui permet de prendre conscience de ses erreurs ; il est son seul juge, son seul bourreau puisque ce qui advient est le résultat de ses choix politiques. La mise en scène adopte d’ailleurs un plan circulaire gravitant autour de Dev Patel et de son entourage qui peu à peu le quitte : le centre n’est plus occupé par Dieu mais par ce qu’il convient d’appeler l’individu, alors qu’une telle notion n’existait pas alors. Ce « chevalier vert », figure mystérieuse et mystique qui mettait à l’épreuve le jeune Gauvain de la même façon que Dieu éprouve sa créature, se confond avec une autre figure médiévale, païenne et populaire : l’homme vert, pur motif ornemental.
Voilà ce qu’est, en somme The Green Knight : une suite d’ornements ; son vide spirituel qui le condamne à accumuler les plans spectaculaires pour non pas transporter le spectateur mais pour saturer sa rétine, comme une vulgaire bande-annonce qui s’étendrait encore et encore. Il n’y a donc pas de cinéma là-dedans, ou très peu : le mouvement n’est pas une élévation d’âme, c’est la rotation automatique d’un dispositif qui aseptise tout comme le lave-linge fait partir rugosités et saletés. L’adaptation de la chanson de gestes est ici une entreprise sceptique de minage et de dénaturation similaire à celle d’un Zack Snyder sur Justice League. Quel dommage.