Il faut ne pas manquer d’audace pour bâtir un scénario faisant se rencontrer et dialoguer des époques et des lieux qui paraissent aux antipodes les uns des autres et dont on se demande comment ils peuvent avoir des points de jonction. Or Bertrand Bonello réussit plutôt bien ce pari, alternant les plans qui se déroulent à Haïti en 1962 mettant en scène une histoire de vaudou et ceux qui ont lieu de nos jours au sein d’un établissement scolaire d’élite réservé aux filles dont un parent a reçu la Légion d’honneur ou une autre décoration prestigieuse.
À Haïti, c’est un homme du nom de Clairvius Narcisse qui se fait envoûter par une poudre disséminée dans ses chaussures. Le maléfice est tel que, revenu d’entre les morts, il se transforme en zombi selon un processus qui est raconté au cours du film. Privé de volonté, l’homme est contraint de rejoindre un groupe de ses semblables, exploités sans vergogne dans les plantations de canne à sucre.
En France, au sein de la maison d’éducation de la Légion d’honneur de Saint-Denis, c’est un groupe de quatre pensionnaires qui se détache. Malgré l’uniforme et la discipline de rigueur dans un tel établissement, elles forment une sororité secrète. Rappelant des scènes fameuses des « Disparus de Saint Agil » (1938) de Christian-Jaque, les jeunes filles se réunissent la nuit dans une des salles de la maison. Or Fanny, l’une des quatre pensionnaires de ce groupe, demande l’intégration de Mélissa, une camarade d’origine haïtienne. Après une mise à l’épreuve, celle-ci est acceptée en tant que membre de la sororité. Mais son intégration trouble l’affect des jeunes filles du groupe, en particulier celui de Fanny dont on sait, dès les premières scènes du film, qu’elle est hantée par l’image d’un garçon séduisant (dont on se demande, d’ailleurs, s’il est réel ou s’il est fantasmé).
Pendant la majeure partie de ce long-métrage, Bertrand Bonello réussit à rendre totalement convaincants les entrecroisements de l’intrigue. On perçoit sans difficulté les implications historiques des récits, ne serait-ce qu’à cause d’un exposé de Patrick Boucheron qui enseigne l’histoire comme n’étant pas linéaire, mais discontinue, hoquetante, ne laissant émerger la liberté qu’en de rares occasions. Et le zombi de Haïti, lui, apparaît, dans un pays marqué par l’esclavage, comme un archétype de l’homme privé de liberté.
Malheureusement, la fin du film fait baisser d’un cran sa qualité. Je ne peux la dévoiler, mais disons que c’est, tout à coup, comme si le réalisateur n’avait pas su imaginer d’autre résolution à l’histoire de Fanny qu’en lorgnant banalement du côté des films d’épouvante de série B. Oublions ce faux pas, car le reste du film vaut bien plus que cette fin bâclée.