Comment relier, d’une part la situation des esclaves sous le règne de Duvalier en Haïti à la fin des années soixante, et d’autre part le lycée de la Légion d’Honneur de Saint-Denis à côté de Paris, ouvert aux jeunes filles ? A priori, la tâche s’annonce impensable. C’est pourtant ce que réalise Bertrand Bonello avec son dernier long métrage, « Zombi Child », présenté lors de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en mai dernier.
On met du temps à comprendre effectivement, mais tout s’éclaire à la fin. Le lycée de la Légion d’Honneur, avec sa non mixité, le costume imposé aux adolescentes, la ceinture de couleur qui va de l’épaule à la hanche, la révérence devant la Directrice, les dortoirs, mais aussi son vaste parc et ses 100 % de reçues au Bac, tout concourt à en faire un cas particulier. Bonello s’attarde sur un groupe de 4 lycéennes de terminale, lesquelles se retrouvent la nuit pour y former une sorte de club privé auquel viendra s’adjoindre une nouvelle, originaire d’Haïti, dont la tante s’adonne à la pratique du vaudou.
Le vaudou est en fait le thème central du film. Dès la première image, nous sommes en 1966 aux pires heures de la dictature Duvalier, un homme casse une sorte d’oursin, le cuisine, le déguste et s’empoisonne. Mourra-t-il ? Du moins, on assiste à ses obsèques. On le retrouve plus tard, esclave dans les champs de canne à sucre, d’où il s’échappe et erre dans l’île. On apprendra qu’il a été enterré mi-mort, mi-vivant, la physique quantique a expliqué la chose. Déterré, ramené à la vie, il est zombi et esclave sans moyens de résistance, ni de conscience.
Bonello alterne les séquences haïtiennes dans les années 60 et celles du lycée de la Légion. Le trait qui les unit, c’est évidemment la nouvelle élève, petite fille du zombi. Une ado, membre du club, dépressive, s’en ira trouver la tante et lui demandera de la guérir par une séance de vaudou. Du point de vue cinématographique, la séance, à 1500 € quand même, vaut la peine d’être vue.
La quintette de jeunes filles du Lycée est remarquable de complicité, les 4 « blanches » accueillant la nouvelle, noire de peau. Pas de marque de racisme vis-à-vis d’elle, et l’acceptation de la différence, notamment culturelle. C’est beau. Trop beau ? Film haut en couleurs vives, Bonello nous fait découvrir deux sociétés, aux antipodes, mais avec une vraie chaleur humaine ici et là. Et une actrice magnifique, Wislanda Louimat, au regard d’ange.
Quelques mois après avoir lu le magnifique roman de Yanick Lahens, « Bain de Lune », Prix Fémina 2014, qui m’avait plongé dans l’enfer de l’époque Duvalier et ses Tontons macoutes.