C'est étrange, je viens de rédiger ma chronique éloquente et une manipulation inattendue sur mon clavier l'a faite disparaitre ! Comme si s'attaquer à "L'amour flou" nécessitait d'être vraiment convaincu. Quel régal ! Quels délices ! Quelles saveurs dans ces dialogues ! Situation banale statistiquement, mais oh combien éprouvante pour ceux qui la traversent. Ils s'aiment, mais ne s'aiment plus. Ils n'ont pas recours à la détestation, ni à l'indifférence. Quand ils se parlent, il ne se passe pas rien. Ils s'invectivent, mais réfléchissent. Ils pensent ! Dans ce film, on pense, on pense le couple, la famille, les enfants, le politique, les solutions à inventer, la diversité des problématiques de chacun. Comment se séparer sans se séparer ? Non pas éviter de se séparer, mais ne pas précariser ce qui existait avant. Que les enfants puissent conserver un lien avec chacun de leurs parents, qu'ils ne soient pas contraints de changer d'école, que le besoin d'espace de l'un ne soit pas ignoré de l'autre. Rien n'est tabou, rien n'est impensable. On passe du rire aux larmes dans une même séquence, parce la vie est comique et tragique à la fois, si l'on s'en donne la peine. Voici un film profond, intelligent, qui ne se donne pas de grands airs de savoir, mais qui nous renseigne sur la complexité des enjeux sociétaux avec un regard bienveillant, tolérant, audacieux. Non, l'école n'a pas à savoir pour les parents ce qu'ils doivent faire au nom d'un supposé "intérêt de l'enfant" dont elle serait détentrice. Il y a du caricatural dans la figure de l'enseignant, mais tellement à peine ! Le roi de la coupure, ce serait lui ! Comme si le concept psychanalytique de castration se résumait à un positionnement idéologique. La psychanalyse n'est pas là pour dire aux gens ce qu'ils doivent faire de leur vie, ni se poser comme ordonnatrice du bien-être des gens. Reda Kateb est magnifique dans son discours caricatural de psy canin, qui s’apparente à l’incompris de la pensée de Françoise Dolto. Il avance qu’il "faut tout dire" aux chiens (comme on a malencontreusement compris que Françoise Dolto prônait cela vis-à-vis des enfants, là où il s’agit plus exactement de parvenir à tout parler, dès lors qu’une question se pose à l’enfant. Tout dire, c'est déverser chez l'autre). Dans "L'amour flou", il y a du flou, mais pas du trouble. Il y a du fou, mais pas de folie, au sens psychiatrique, juste une folle envie de vivre avec poésie, désirs, où le déraisonnable n'est pas la déraison. Bravo à Romane Bohringer et à Philippe Rebbot et à tous leurs proches (!) pour ce magnifique objet cinématographique, qui ose interroger des enjeux de société. J'ai eu l'impression de poursuivre la chronique montreuilloise entreprise dans "L'effet aquatique" de la regrettée Solveig Anspach. Bravo, bravo, bravo pour ce beau projet, qui dit que l'on peut inventer, que l'on n'est pas contraint juste par les normes que certains prétendraient édicter ou détenir. Quelle belle nique faite à l'idéologie et au conservatisme ! Longue vie à ce beau film !