L’amour flou, c’est une chanson de Jeanne Moreau.
Mais c’est aussi le titre du récent film réalisé et joué par romane Borhinger et Philippe Rebbot. Je dis « réalisé et joué » et c’est là que nous touchons au cœur de cet ovni du cinéma à ne rater sous aucun prétexte :
Romane et Philippe ont été amoureux dans la vraie vie. Ils ont fondé une famille, eu deux enfants, Rose, Raoul.
Ils ont partagé une maison à Montreuil, et puis leur couple s’est cassé la gueule et ils ont tenté d’inventer une façon de se désunir en aménagent dans deux appartements voisins séparés par la chambre de leurs enfants. C’est leur histoire et c’est celle que raconte le film. La tentative, l’utopie d’un lendemain à l’amour qui ne soit pas la destruction de ce que l’amour fabrique. Le raisonnement est tellement simple et évident et on pourrait s’irriter d’un récit tentant à le démontrer s’il n’était pas le témoignage d’une expérience réelle, menée entre deux adultes prêts à risquer cette aventure pour garder vivante leur estime mutuelle malgré leur séparation.
Il s’agit donc bien d’une œuvre cinématographique autobiographique…
Romane et Philippe ont vécu leur séparation et ce nouveau départ étrange « plus complètement à deux mais un peu quand-même », et ils ont filmé en temps réel les images de cette vie.
Ne vous attendez pas pour autant à voir ici un documentaire. L’immense intérêt de ce film, c’est que les acteurs réalisateurs ont su construire un projet constitué d’images d’archives filmées et de scènes jouées, ou plutôt devrait-on dire « rejouées ». Puisant dans leurs souvenirs des anecdotes vivantes, ils ont entrepris de mettre en scène face à la caméra d’anciennes disputes, des diners de famille, séances chez le psy, rencontres et autres morceaux de vie.
Imaginez simplement ce que fut ce projet cinématographique pour nos deux acteurs. Se séparer, réamanager presque ensemble, filmer en même temps, décider que se quitter ça peut vouloir dire « faire un film ensemble », rejouer les scènes de leur vie comme pour les digérer à deux et porter à l’écran un regard commun sur leur propre vie. Il faut être sacrément téméraire et garder en l’autre une forme de confiance, celle qui précisément fait défaut quand nos histoires d’amour finissent.
Il y’a dans ce film des alternances de tons, la douce mélancolie puisée dans la trace filmée de la vraie vie, et la « légèreté » de ces scènes rejouées, parfois burlesques et très souvent poignantes sans jamais tomber dans la dramaturgie.
Les personnages secondaires sont tantôt joués par eux-même (la famille Borhinget et Rebbot) , tantôt par des acteurs.
Le procédé est passionnant, le jeu entre la matière vivante et celle qu’on réanime est un cas de figure cinématographique hallucinant.
Et puis il y a ces deux acteurs. Romane Borhinger, intense et ballotée par un « désir du désir »,si souvent drôle avec elle-même, tellement puissante. Et Philippe Rebbot moins célèbre mais à mes yeux l’un des plus grands comédiens français du moment. Ses monologues sont ahurissants et entre eux, les mots s’échangent comme des coups de gants de boxe rembourrés de bienveillance, de lassitude et d’ironie.
L’amour flou c’est une magnifique tentative filmée de fabriquer à deux ce qui devra rester de ce « nous deux ».