« Si ça devient un sacrifice, alors je disparais. »
Déjà encensé par le public et en grande partie par la critique pour A Star is Born (2018, remake d’un grand classique hollywoodien des années ’30, plusieurs fois repris), Bradley Cooper est un touche-à-tout de talent, c’est indéniable. Pour ma part, je l’ai découvert en acteur dans la trilogie Very Bad Trip (The Hangover, 2009, 2011, 2013) de son ami Todd Philips et j’ai été surpris par la nonchalance nihiliste de son personnage, dans une interprétation d’une sobriété exemplaire pour ce genre d’exercice.
Comme souvent dans le cinéma contemporain, Bradley Cooper, réalisateur opposant plusieurs époques, s’adapte à chacune d’elle en adoptant sa syntaxe. Ainsi, la première partie, couvrant les années ’40/’50, est-elle tournée en noir et blanc en épousant le ratio d’écran de la période, aux 4/3. Classique, donc. En revanche, le jeu des acteurs s’adapte également, en flux rapide, à la manière des films de Capra, où les voix s’entrechoquent en dialogues vite inaudibles et d’un ton plus haut qu’aujourd’hui. Il en va de même pour les jeux d’ombre en plans fixes et lignes de fuite. On soulignera ainsi la qualité de la photo (Matthew Libatique, fidèle de Darren Aronofsky) et le soin apporté à la reconstitution d’époque.
Au-delà du biopic, la première partie du film rend hommage à un genre encore méprisé en Europe, la comédie musicale, qui a su, aux Etats-Unis, réconcilier l’art élitiste de la musique classique et la culture populaire dans un même élan à travers Broadway et Hollywood.
Peu avant l’heure de visionnage, quand on aborde les années ’70, la couleur revient mais avec un ratio identique, comme une transition en douceur. Les travellings semblent aussi de plus en plus lents, tout comme les dialogues, plus distants, plus froids, Bradley Cooper s’exprimant alors d’une voix grave, peut-être un rien surjouée, due à l’âge et à la cigarette.
La lenteur du film devient alors omniprésente et ne se voit soutenue par aucun artifice narratif ou interprétatif, à l’image, justement, de certains travellings interminables. Initialement proposé à Martin Scorsese (qui a magnifié la comédie musicale à travers New York, New York, 1977) puis à Steven Spielberg (qui a réalisé le remake de West Side Story en 2021), tous deux producteurs du film parmi d’autres, Maestro rend plus hommage au second dans sa recherche de l’effet ponctuel et sa linéarité parfois soporifique qu’au premier et à son énergie rythmique beaucoup plus en phase avec le thème de la musique. On sera en effet surpris que les compositions de Bernstein, pourtant personnage central, n’accompagnent pas plus l’histoire, comme c’est le cas de West Side Story, à peine évoqué, ou de sa messe pourtant importante sur le plan socio-politique, qui témoigne des engagements du compositeur et chef d’orchestre. On regrettera par exemple qu’il ne soit jamais fait mention de son attachement à la musique pop (Les Beatles, Paul Simon) ou de son engagement envers les droits civiques, lui qui organise en 1970, avec Felicia, une soirée de soutien au mouvement des Black Panthers.
Ainsi, malgré une première demi-heure énergique et originale, on retombe vite dans les travers de l’exercice difficile du biopic : une narration classique, voire académique, faisant abstraction de l’oeuvre de l’artiste et de sa personnalité publique pour se concentrer sur sa vie privée somme toute assez banale sauf si la question de l’homosexualité, de la bisexualité en l’occurrence, défrise encore quelqu’un. L’interprétation trop mesurée, une caméra certes inventive mais qui s’essouffle vite, tout concourt alors à faire de ce prétendant à l’oscar du meilleur film un téléfilm de très bonne facture, sans plus. Se voulant inclusif, Maestro reste un film sur un mec, réalisé par un mec et son propos pseudo-féministe ne leurre personne.
Au niveau de l’interprétation, Bradley Cooper semble constamment se diriger lui-même (ce qui est le cas, de fait), prenant garde à éviter le moindre écart avec l’image policée, plastique, qu’il se fait du compositeur. Carey Mullingan, tellement émouvante dans Shame (Steve McQueen, 2011) et tellement combative dans Suffragette (Sarah Gavron, 2015), joue ici à l’opposé du présupposé de départ, en épouse et mère effacée, qui se sacrifie alors qu’elle s’en défend, comme soumise et transparente. Il est difficile de comprendre pourquoi les deux interprètent figurent au palmarès des Oscars 2024, quand l’une et l’autre sont capables de tellement mieux d’autant que Bradley Cooper s’autofilme et écrase constamment la présence du principal personnage féminin et la prestation de Carey Mulligan.
Ça n’est pas mal joué, ça n’est pas mal filmé, certaines scènes valent détour et le scénario n’est pas inintéressant mais bon sang que c’est fade, mou et vieillot !