Arregi, Garaño et Goenaga ont toujours travaillé ensemble mais Une vie secrète est le premier film qu’ils réalisent à 3. Leur collaboration date de la fondation de leur société de production Moriarti, montée il y a plus de 15 ans. Leur film précédent Handia, réalisé par Arregi et Garaño, était lauréat du prix spécial du jury de la 65e édition du Festival du film de San Sebastian et a remporté 10 Goyas. Leurs deux premiers films, Loreak (retenu pour représenter l’Espagne aux Oscars en 2015) et « 80 jours » (qui a remporté plus de 30 prix internationaux) ont été réalisés par Garaño et Goenaga. Auparavant, Arregi et Goenaga co-dirigeaient le long-métrage documentaire culte Lucio.
Jose Mari Goenaga : "Nous avons été inspirés par le film documentaire 30 ans d’obscurité de Manuel H. Martin, projeté en 2012 au Festival de San Sebastian. Le film racontait l’histoire de plusieurs “taupes” pendant la Guerre civile espagnole. Il se concentrait plus particulièrement sur Manuel Cortes, le Maire de Mijas, une ville de la province de Malaga. Avant de voir ce documentaire, je ne savais pas grand chose sur les “taupes” mais réaliser une fiction sur ce sujet s’est imposé à moi immédiatement. Dès le départ, nous ne voulions pas seulement raconter l’histoire d’un reclus mais montrer le confinement de l’intérieur. Ce, de manière à pouvoir jouer avec le hors champ mais aussi avec le son, le visible et l’invisible. En combinant ces éléments, on construisait une allégorie de la peur, tout en parlant du fardeau symbolique qui pesait sur les épaules des “taupes”."
Jon Garaño, Jose Mari Goenaga et Aitor Arregi travaillent ensemble depuis près de 20 ans. Jusqu’à présent, ils tournaient leurs films à deux, en variant les combinaisons. Mais cette fois-ci, ils ont travaillé à trois en raison des problèmes logistiques qui se posaient à eux. "C’était une expérience inédite pour nous. Notre manière collective de travailler est assez rare dans le milieu mais se révèle très efficace pour nous. Nous sommes convaincus que travailler à trois nous permet d’aller plus loin. Il est vrai que nous débattons pendant des heures mais les résultats sont là. Nous savons que ce n’est pas une façon classique de fonctionner. Pour travailler de cette manière, il faut connaître ses co-réalisateurs parfaitement. On doit savoir quelles sont leurs forces et leurs faiblesses. Il faut avoir suffisamment confiance en soi pour pouvoir leur dire à un moment donné que leurs idées ne sont pas bonnes. Il faut aussi être conscient que l’on va se battre jusqu’au bout et constamment pour ses idées. Mais surtout, il faut avoir une confiance aveugle en ses coréalisateurs."
Le film est ponctué de ces ellipses qui évoquent les trous dans lesquels Higinio s’enterre. Jose Mari Goenaga : "Dès le départ, nous avions décidé de faire un film sec, sans trop d’effets de montage. Nous savions que les ellipses nous aideraient parce que nous ne pouvions pas embrasser 33 années sans elles. L’idée était d’ouvrir des fenêtres à mesure que le temps s’écoulait, de manière à ce que le specateur imagine ce qui s’était passé entre les interstices."
Pour Jon Garaño et le trio de réalisateur, la peur est le thème le plus important du film : "C’est le thème central du film et ce qui nous a poussés à le faire. Higinio se cache parce qu’il a peur. Même si nous ne sommes pas amenés à vivre une situation aussi extrême que celle du protagoniste, nous avons tous peur de sauter le pas, de quitter notre travail, de sortir du placard (comme le facteur par exemple dans le film). La peur est universelle et sans fin et c’est précisément ce qui nous intéressait. Dans une scène de confrontation, le fils d’Higinio dit à son père qu’on se souviendra de lui avant tout pour sa peur mais qu’il n’en sera pas moins une victime. Est-ce que la résistance passive est une forme de combat ?"
Aitor Arregi évoque l'aspect visuel du film : "On s’est posé la question de savoir comment la cachette d’une taupe serait éclairée de manière réaliste. La plupart du temps, la seule source de lumière vient de la fente ou du trou dans lequel les reclus regardent. Cette limite, dont nous étions conscients, nous a aidés à rendre les yeux et le visage d’Higinio expressifs et en conséquence, à faire d’eux des vecteurs potentiels du récit. Cela nous a permis d’approfondir le concept d’un film, basé sur le point de vue d’une taupe. On a fait quelques essais avec la caméra qui se sont révélés positifs. En ce qui concerne la texture terreuse de l’image, elle intervient surtout dans la première partie du film. Nous voulions que la photographie soit en harmonie avec le style du film parce que nous pensons qu’ainsi, l’image est plus puissante. La première maison que le couple occupe a été construite dans la terre. Le carrelage, les murs, le trou lui-même appartiennent à une modeste maison andalouse de l’époque."