C’est un mariage presque princier, sinon qu’il se passe dans un village perdu de l’Espagne où le clocher dépérit et le curé ne manque pas de quémander des secours à ses invités. Les robes sont belles, les femmes rayonnent, particulièrement Pénélope Cruz qui n’a pas pris une ride. Et la musique aux accents andalous encadre ce petit moment de bonheur. Puis, survient la disparition de l’adolescente.
« Everybody knows » pourrait être un récit policier dans le crépuscule idéal de l’Espagne ensoleillée, entrecoupée d’orages éphémères. Le film pourrait aussi être un récit ethnologique sur les groupes d’influence, les mafias qui ne disent pas leur nom, et surtout sur la nature humaine, profondément ambiguë, capable du meilleur comme du pire. Mais c’est un film de l’iranien Asghar Farhadi, qui, de son pays natal, a fui vers le cinéma français et s’échoue dans un cinéma hollywoodien, à coups de prix cannois. C’est donc un film sur les naufrages familiaux, les non-dits amoureux qui pourrissent les relations conjugales, à l’instar de ses peut-être deux chefs d’œuvre « La Séparation » et « A propos d’Elly ». A chaque fois, le réalisateur préfère à l’épopée narrative, la profondeur des secrets familiaux, et l’éternelle fascination et incompréhension qui séparent les hommes et les femmes.
Mais Farhadi a oublié d’être iranien. Il succombe à un cinéma américano-espagnol de la facilité où manifestement les budgets sont illimités, et les stars se donnent à cœur joie. La facilité est telle que le film se perd dans plus de deux heures interminables, où l’on sait presque tout d’avance des secrets qui parcourent le village et les âmes. On ne peut pas reprocher une photographie soignée, des lumières absolument magnifiques, qui irradient le visage des femmes, et particulièrement celui de Pénélope Cruz. L’actrice joue les pleureuses, les rieuses, les tragiques, les désinvoltes, avec une caméra quasi obsessionnelle qui force la mise en spectacle de l’actrice. C’est un film fait pour elle, comme « Le Passé » avait été conçu au service de Bérénice Béjo. Certes, on ne peut pas non plus stigmatiser un réalisateur qui aime ses acteurs. Mais cette fois, le scénario n’est pas à la hauteur de ce récit qui s’obstine à la démonstration et l’excès.
On regrette beaucoup le cinéma de l’intimité conjugale, teintée d’une critique politique. Justement, un auteur iranien autant promu par la presse internationale, a un devoir d’information et de réflexion. Il nous prive de sa patte démocratique pour une histoire dense, certes très bien interprétée, mais qui ne mérite pas plus d’attention que cela.