Film d'ouverture du Festival de Cannes 2018, ''Everybody knows'' est réalisé par l'iranien Asghar Farhadi (à qui on doit les excellents ''A propos d'Elly'' et ''Une séparation''). Film qui réunit pour la neuvième fois (on ne change pas une équipe qui gagne) le couple Penélope Cruz/ Javier Bardem. Avec en guest star l'argentin Ricardo Darin, voilà donc un film bien apatride (selon Wiki, ''Everybody knows'' est... hispano-franco-italien!).
Laura (Penelope Cruz), une Espagnole qui vit en Argentine avec son mari Alejandro (Ricardo Darin) et ses deux enfants retourne dans sa famille pour assister au mariage de sa sœur. Elle retrouve aussi Paco (Javier Bardem), son ancien amant. La journée se passe bien jusqu'au soir où un événement dramatique a lieu.
Que la vie en Espagne est belle ! Le début du film est résolument solaire. Tout est charmant quand Laura retourne dans sa famille. Les gens sourient à tour de bras. On danse, on boit, les jeunes roucoulent (littéralement, on voit des pigeons dans le film), on oublie les problèmes pour célébrer ce mariage. C'est la première partie ensoleillée du film. Et puis... tout se délite, tout s'assombrit. C'est la force du film : l'irruption soudaine d'une chose horrible. Irruption encore plus forte quand on en ignore l'objet avant d'entrer dans la salle de cinéma. Farhadi capte très bien ce moment où l'angoisse monte peu à peu avant que tout bascule. Dès lors on passe à un véritable drame à l'allure de polar. Les ingrédients sont là : pluie, nuit, larmes et chantage sont au rendez-vous. ''Everybody knows'' nous rappelle quelque chose. Ce goût de déjà-vu, pas forcément négatif s'explique facilement. En effet, ce film est en fait le miroir hispanique d' ''A propos d'Elly''. Preuve que le réalisateur est universel ; ses sujets dépassent toutes les frontières (Farhadi avait même fait en 2013 un film français : ''Le passé''). Une fois de plus, la famille est au cœur du cinéma d'Asghar Farhadi. Ici, c'est surtout grâce au personnage de Paco que Farhadi fait naître l'interêt.
Certes, l'affliction de Laura et d'Alejandro est evidemment émouvante. Mais c'est l'acharnement de Paco à retrouver Irene qui intrigue. Pourquoi rechercher avec autant d'ardeur Irene ? Par amour pour Laura ? La découverte vers la fin du film (que Paco est le vrai père d'Irene) ne surprend guère. Elle ne fait que renforcer le caractère poignant de Paco. Le film est aussi l'histoire d'un homme qui, en même temps qu'il découvre et sauve sa fille se voit obligé de vivre éloigné d'elle. Ainsi, la fin est beaucoup plus dramatique qu'elle n'y paraît. Pour Paco certes, mais aussi pour les parents du coupable qui découvrent que leur enfant a kidnappé Irene (à ce moment là, Farhadi, c'est l'un de ses points forts, à la pudeur de terminer son film).
L'autre qualité du film, attendu celle-ci, c'est bien sûr l'interprétation. Sans être mirobolante, l'alchimie fonctionne entre Penélope Cruz et Javier Bardem (deux des meilleurs acteurs à l'heure actuelle) et les yeux bleus de Ricardo Darin sont louds de tristesse rentrée. Le reste de la distribution est aussi impeccable.
Hélas, Asghar Farhadi semble s'arrêter à mi-chemin. S'il se focalise sur ces trois protagonistes principaux, on reste un peu sur notre faim concernant les figures secondaires et tertiaires. Ce qui est dommage, c'est de ne pas avoir fait un film plus tendu où rumeurs, commérages et rancoeurs ne soient pas davantage exacerbés.
Le secret concernant Irene n'en est plus vraiment un : tout le monde le sait. Mais justement, il aurait fallu accentuer le sentiment de paranoïa, renforcer l'impression que tout le monde peut-être coupable. En parlant de coupable, il est assez regrettable qu'un metteur en scène (et scénariste) qui creuse autant ses personnages n'ait pas chercher à apporter un peu d'épaisseur au coupable. Car si le film sur les parents de la victime est là, quel dommage que le film sur les coupables ne l'accompagne pas.
Le manque de tension s'explique aussi par la mise en scène trop discrète du réalisateur iranien. Dans ''Une séparation'', un véritable sentiment de claustrophobie habitait le spectateur. Cela s'expliquait par le cadre extrêmement serré qu'adoptait Farhadi. Caméra portée collée aux personnages, absence de plan d'ensemble... tout contribuait à créer un authentique sentiment d'étouffement. Pourquoi donc Farhadi n'a t-il pas cherché à reproduire ce dispositif avec ''Everybody knows'' ? On aurait ainsi eu le droit à un film deux fois plus impactant. A la place, on a droit à une réalisation plus anonyme, dans laquelle Farhadi semble moins s'investir (est-ce parce que le réalisateur tourne loin de chez lui?).
''Everybody knows'' est un film moins moral que les autres films de son metteur en scène. Ne cherchant nullement à donner une leçon, Farhadi réalise un film qui, s'il se révéle fidèle scénaristiquement à l'oeuvre de l'Iranien est un peu lâche du point de vue de la réalisation. Mais le talent de ces beaux acteurs permet d'y prendre beaucoup de plaisir.