Après le très remarqué « Elle l’adore », Jeanne Herry change son fusil d’épaule pour proposer un film choral sur un sujet compliqué, l’adoption. En multipliant les points de vue, en élargissant son casting au maximum, en acceptant aussi de se perdre un peu dans quelques digressions dont on ne comprend pas forcément d’emblée l’intérêt, elle dessine une grande fresque autour d’un tout petit bébé. Pour créer une sorte de proximité, presque de complicité entre le spectateur et son sujet, elle multiplie les gros plans, colore son film d’une musique neutre mais assez mélodique, elle essaie d’intégrer une larme d’humour aussi (mais ça ne fonctionne pas vraiment) elle soigne aussi son montage. Le film commence par la fin : l’annonce à la future adoptante que son dossier a été retenu. Cette scène d’ouverture, qui montre une jeune femme tellement émue qu’elle comprend à peine les mots qu’elle entend, est très réussie. Ensuite, le film alterne entre les deux premiers mois de Théo et le parcours d’Alice sur 10 ans, un parcours long, difficile, douloureux aussi. Le film se suit avec intérêt, dés les premières scènes et jusqu’à la fin. Les dix dernières minutes peuvent paraitre un peu superflues, un peu redondantes mais elles scellent l’histoire, elles sont indispensables alors qu’il ne se passe plus grand-chose, sauf que l’histoire croisée d’Alice et de Théo se doit avoir un point final, un point final qui marque aussi le début d’autre chose, une autre histoire plus « standard » de maman avec son fils. Dans l’ensemble, le film de Jeanne Herry tient la route, on y apprend des choses, on comprend aussi beaucoup de choses et on est ému, forcément. De son casting pléthorique, qui va de Miou-Miou à Sandrine Kiberlain, d’Olivia Cote à Elodie Bouchez, on peut dire qu’il fait honneur à son sujet. Tous sont très impliqués, et incarnent des personnages complexes, avec leurs failles, leur richesse intérieure Le personnage de Sandrine Kiberlain, par exemple, éducatrice spécialisée en pleine crise personnelle et familiale, amoureuse à sens unique d’un homme qui ne lui rendra jamais, est particulièrement intéressant. Je conçois que l’on puisse trouver que les états d’âmes de son personnage sont une digression inutile, mais tout cela sert aussi à humaniser une administration en apparence (mais en apparence seulement) rigide, procédurière et froide. Je voudrais quand même adresser une mention spéciale à Gilles Lellouche, qui incarne un assistant maternel très touchant, qui retrouve au contact du petit Théo une sorte de flamme, qu’il pensait avoir perdu. La scène finale, où il retient ses larmes au moment de « passer la main », est juste parfaite. Gilles Lellouche prouve toute la palette de son jeu d’acteur, après avoir prouvé dernièrement qu’il était aussi un réalisateur-scénariste à succès. Le scénario de « Pupille » fait penser à celui de « Polisse », en beaucoup moins lourd quand même… C'est-à-dire qu’il s’agit de dépeindre ici une machine administrative qui n’a que pour unique objectif l’intérêt des enfants et pas celle des futurs parents. La scène où un couple postulant s’emporte suite à un agrément défavorable est très révélatrice de ce malentendu qui persiste dans l’imaginaire collectif. Le film met en scène une assistante sociale qui protège et accompagne une jeune maman, qui refuse de transiger avec sa déontologie même sous la pression, mais aussi un personnel soignant consciencieux, peut-être un peu maladroit mais vraiment soucieux de bien faire. Les éducatrices spécialisées s’impliquent dans le destin des enfants dont elles ont la charge, elles donnent beaucoup d’elles-mêmes, et doivent garder la tête froide devant des parents parfois toxiques. Les familles d’accueil jouent un rôle immense, de soin, de tendresse envers les petits bouts de choux. De l’autre côté, les services de l’adoption choisissent, écartent des parents (parfois la mort dans l’âme), défendent leur dossier, se chamaillent, doivent parfois se montrer durs, exigeants, tatillons, inflexibles. Humainement, toute la chaine administrative donne beaucoup d’elle-même et c’est ce qui ressort du film de Jeanne Herry et qui moi me touche beaucoup. Elle met en scène une administration impliquée, bienveillante, vraiment soucieuse de protéger les intérêts du plus faible, celui du bébé, et uniquement les intérêts du bébé. C’est à bien à cela que sert l’Etat, la collectivité, la vie en société : protéger les plus faibles. On comprend mieux, avec le film de Jeanne Herry, que ce mille-feuille administratif (tellement décrié à longtemps de temps et d’éditoriaux libéraux) n’est pas là par hasard, que tous jouent un rôle déterminant, que tous sont indispensables. Etant donné que cette démonstration va à l’encontre de beaucoup de préjugés, elle seule justifierait que je conseille d’aller voir « Pupille ». Mais en fait, ce film est gorgé de tendresse, de bienveillance et d’émotion. Nul besoin de se sentir concerné par le sujet pour sortir de la séance émue. Malgré ses petits défauts, ses digressions un peu bizarres, ces sous-histoires un peu incongrues (comme la non-romance entre Jean et Karine), « Pupille » est un petit cadeau d’humanité et d’émotion, à s’offrir pour Noël !