Sorry to Bother you est le premier film de Boots Riley, rappeur, scénariste, activiste. Un profil varié qui explique en partie le charme et l’originalité du film. On suit ici, le destin de Cassius Green, un jeune qui rentre dans un service téléphonique de vente. Symbole de cette économie uberisée, les travailleurs sont payés aux nombres de contrats de vente passés. Si Cassius éprouve des difficultés au début, il va rapidement adopter le secret de la réussite dans ce milieu, la « voix du blanc caucasien américain WASP».
Sa facilité à prendre cette voix vont rapidement lui permettre de s'élever socialement et de monter littéralement les échelons de l’entreprise, mais cette rapide ascension a aussi un prix. Confronté à des questions éthiques, Cassius va devoir faire la part des choses s’il veut éviter que toute sa vie d’avant ne s’effondre…
Que ça soit par sa forme ou son message, Sorry to bother you donne matière à réfléchir et s’inscrit dans cette nouvelle vague de satire politique. Cette satire est le centre du film, car elle est figurative et symbolique, elle nourrit aussi bien le message politique du film que son essence. Elle nourrit ses plans et le destin de ses personnages, qui sont dépassés ou ambivalents par le système qu’ils doivent combattre, tout en faisant partie.
Mais ce procédé est à double-tranchant. Elle affaiblit parfois la structure même du film en privilégiant des mises en scènes qui peuvent être confuses ou des messages redondants (Ex : les boucles d’oreilles de la copine de Cassius avec des messages politiques). Le film s'attarde sur des points qui peuvent sembler insignifiant.
Au-delà de la mise en scène, le film prend aussi le parti pris de suivre un personnage qui va volontairement s’emprisonner dans ce système qui le maltraite et le rend hypocrite. Ce qui rend le personnage parfois lassant .On a parfois l’impression que le film veut absolument rentrer dans un narrative moralisant où le personnage principal doit être puni de ses actions.
Mais c’est aussi tout l’intérêt du film que de nous montrer ce qu’une personne est prête à faire et à subir pour monter les échelons, en dépit de ce que cela lui coûte d’un point de vue personnel. Dans ce sens, la scène où Cassius se met à rapper devant une bande de cadre blanc qui n’arrête pas de l’objectiver est juste magique.
Cette volonté d’ascension lui coûtera plus que sa vie d’avant, elle l'emprisonne à jamais dans le capitalisme, son stade d’aliénation finale est essentialisé dans cette créature mi-homme/ mi-cheval qui le dépourvoit de son libre-arbitre.
D’un point de vue général, je pense qu’on peut parler d’un film plutôt réussi et innovant. Mais, il reste limité sur certains points. Une mise en scène pas toujours subtile, des personnages pas forcément attachants voir juste chiants, une certaine longueur sur la fin, un dosage de l’humour pas toujours adapté.
(*Le film est bien évidemment à regarder en VO, si vous voulez comprendre les subtilités linguistiques des dialogues.)