Comme cela fait du bien de voir des films originaux, surprenants, différents et engagés. Oui tout cela à la fois! Alors si « Sorry to bother you » n’est pas parfait et encore moins le meilleur film de l’année, il n’en demeure pas moins une œuvre qui nous étonne et nous réjouit la plupart du temps et, surtout, qui a quelque chose à dire. C’est un film tout à fait en accord avec son temps et les problèmes sociaux et économiques contemporains. Pour un premier film, il est d’une maîtrise formelle, narrative et thématique rare. Après ce premier essai étonnant et réussi, on attend donc avec impatience les prochaines tentatives cinématographiques de son auteur, Boots Riley. En attendant, on prend plaisir à suivre le parcours de cet individu à priori lambda qu’est Cassius Clay, superbement incarné par Lakeith Stanfiedl.
Il y a un peu de Spike Lee ici dans le côté pamphlétaire et revendicatif et un peu de Michel Gondry sur la forme (il y a d’ailleurs un petit clin d’œil en forme d’hommage à destination du français roi du bricolage filmique). Les cibles prises par Riley sont clairement l’économie capitaliste (culture du rendement, déshumanisation, profits, …), les ultra-riches et les médias. Et, sur certains points, « Sorry to bother you » s’avère tout à fait à propos avec l’actualité et d’une acuité remarquable. Les patrons assoiffés de profit au détriment des travailleurs (Armie Hammer en roue libre mais drôle) tout comme la perte des idéaux face à l’argent roi en prennent pour leur grade. Et nous voyons tout cela à travers la manière dont le personnage principal va monter les échelons d’une société de télémarketing, domaine on ne peut plus catalyseur de dérives capitalistes. La vision des afro-américains par les blancs (et inversement) est aussi bien vue et amusante en plus d’être pertinente.
« Sorry to bother you » est donc une œuvre énervée et véhémente qui a vraiment quelque chose à dire et s’engage avec force et fracas dans ses convictions en dépit de son allure de film fun et cool. Ou comment faire réfléchir, faire sourire, amener un point de vue fort tout en divertissant. L’esprit même de la satire intelligente, poil à gratter et réussie est bel et bien présent. En revanche, il y a bien sur quelques scories propres aux premiers films. Il y a des longueurs parfois, notamment dans certaines scènes dialoguées, des bizarreries qui ne fonctionnent pas à contrario d’autres et aussi peut-être un manque de nuance; mais la force du propos emporte le tout. Cependant la dernière partie qui tombe dans l’humour (très) absurde risque d’en dérouter plus d’un. En effet, l’arrivée des hommes-chevaux (oui vous avez bien lu) peut sembler excessive et aller trop loin. Au début on est un peu décontenancé et on a l’impression que le film se tire une balle dans le pied en le faisant dériver vers un côté irréel trop poussé. C’est au final totalement assumé et c’est aussi ce qui fait le charme de ce film unique et totalement barré.
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