Trente ans de rapports confidentiels sur le conflit au Vietnam dévoilant au grand jour le mensonge des discours de la politique americaine de toute une époque disparaissent dans la nature...
C'est le point de départ du récit du nouveau film de Steven Spielberg qui va nous raconter comment le Washington Post, simple journal à la renommée jusqu'à alors locale, va prendre une dimension nationale en bousculant l'Histoire grâce à la publication de ces documents au contenu potentiellement brûlant pour les plus hautes autorités politiques. Mais, par ce fait, le Post va aussi redéfinir la place et le pouvoir de la presse au sein de la société et également mettre sous le feu des projecteurs une figure féminine qui, poussée par la volonté de transmettre la vérité au public, va parvenir à s'émanciper d'un milieu professionnel encore détenu par les hommes.
D'ailleurs, c'est d'abord par les yeux de Katharine Graham (Meryl Streep, que dire de plus...) que nous sommes introduits dans les coulisses de ce journal alors tout juste sur le point d'entrer en bourse. Coincée entre son statut de veuve propulsée à la tête d'une entreprise qui n'était pas la sienne et un conseil d'administration exclusivement composé d'hommes, la femme peine encore à imposer son intelligence et sa pertinence dans ce microcosme machiste fermé , il en est de même avec le rédacteur du Post, Ben Bradlee (Tom Hanks, que dire de plus...), lequel la prie d'un ton ferme, lors d'un petit bijou de dialogue à la fausse légèreté pendant un déjeuner, de le laisser faire son travail.
Mais, suite à un concours de circonstances qui voit leur principal concurrent, le bien plus célèbre New York Times, être attaqué par l'administration Nixon avant de publier les fameux documents en sa possession, les journalistes du Post décident d'y voir une chance pour enfin délivrer un scoop national et se mobilisent à leur tour pour mettre la main sur les rapports.
Dès lors, le talent de conteur de Spielberg va faire des merveilles en manipulant habilement les codes du thriller, toujours avec une espèce de constante finesse à en effleurer les ressorts sans jamais y plonger, pour nous retransmettre l'urgence de cette rédaction dont l'avenir se retrouve désormais mêlé à la réussite ou non de la publication par le journal de ces "Papiers du Pentagone".
Le travail de l'équipe de journalistes pris de court par l'ampleur de sujet sous l'oeil à nouveau pétillant d'un rédacteur en chef retrouvant le goût un peu oublié de son propre métier et qui, lui-même, est à la merci du pouvoir discrétionnaire d'une femme qui va étonnamment trouver le courage de s'affirmer devant le caractère tout bonnement extraordinaire de la situation, tout concourt à nous entraîner dans ce souffle de pur journalisme d'investigation qui se retrouve à maintes reprises bloqué par les représentants des pouvoirs politiques, judiciaires, financiers ou même juste d'une faiblesse stupidement humaine mais dont la force semble inextricablement abattre tous ces obstacles un à un comme si celle-ci était muée par la conscience d'une vérité bien plus grande amenée à s'imposer à tous (en ce sens, les ultimes instants du long-métrage délicieusement ironiques sonneront comme le glas d'une punition ultime à ces entraves délibérées).
Cette puissance narrative qui tient tout autant de la portée historique des faits que de la brillante écriture scénaristique du tandem Liz Hannah/Josh Singer dont Spielberg se sert d'appui pour diriger son orchestre de main de maître atteindra son point culminant lors d'une séquence magistrale du film, un coup de fil entre quasiment tous les principaux protagonistes se déchirant autour de leurs positions respectives, conscients qu'une page de l'histoire est en train de se jouer sur une simple décision.
Relevons quelques petits bémols pour être tout à fait honnêtes dans notre éloge même s'ils n'entâchent pas vraiment la plus que très haute tenue de l'ensemble : lorsque le film se détache du journalisme pour s'intéresser aux seuls atermoiements personnels de ses personnages (la conversation de Tom Hanks avec sa femme et la scène de confession de Meryl Streep), il connait une baisse de régime étonnante, comme si, inconsciemment, Spielberg savait que la puissance de son propos ne s'y trouvait pas et qu'il ne réussissait pas à les contaminer par l'énergie animant tout son long-métrage.
Autre petit pinaillage, le casting, les têtes d'affiches sont évidemment parfaites de même que les seconds rôles. Seulement, ces derniers sont quasiment tous interprétés par des talents découverts dans le meilleur des séries US de ces dernières années (Bob Odenkirk, Carrie Coon, Jesse Plemons, Alison Brie, Sarah Paulson, Zach Woods,...), comme si Steven Spielberg avait été faire tranquillement son marché dans le haut du panier de la production télévisuelle. On ne peut lui reprocher au vu de la richesse de talents dont regorge le casting mais cette pratique un peu désuète a pour conséquence de délivrer des rôles peut-être pas assez consistants pour de si bons acteurs (surtout les actrices d'ailleurs, Carrie Coon, Sarah Paulson et Alison Brie ont peu de matière pour réellement briller).
Ces deux dernières remarques ne sont néanmoins que des détails dans un film passionnant de bout ou bout qui traduit toute l'admiration de Spielberg pour les grands films sur le journalisme de la trempe de "Les Hommes du Président". Le sien ira d'ailleurs se placer directement non loin des sommets, surtout par la résonance parfaite qu'une telle histoire trouve à notre époque actuelle où la place de la presse est trop souvent remise en cause par certains. Et quand un film devient nécessaire, c'est qu'il est forcément grand...