Est-il possible aujourd’hui d’apprécier sereinement un film de Woody Allen sans parler des accusations portées contre lui par sa fille adoptive Dylan Farrow, accusations que le scandale de l’affaire Weinstein a remises sur le devant de la scène ? Le cinéaste n’a jamais cessé de démentir les abus sexuels qui lui sont reprochés et il n’y a pas de raison de lui refuser la présomption d’innocence à laquelle a droit toute personne se trouvant sous le coup d’une plainte (un droit que l’on a que trop tendance à bafouer, quelle que soit la personne accusée). Quoi qu’il en soit, pour ce qui me concerne, je ne cesserai jamais d’admirer le cinéaste Woody Allen à qui l’on doit, parmi tant de films réalisés, beaucoup d’œuvres admirables et quelques chefs d’œuvre.
Si le film qui sort aujourd’hui ne comptera pas, à mon avis, parmi les meilleures réussites du cinéaste new-yorkais, il n’en a pas moins de grandes qualités, au point que beaucoup d’autres cinéastes pourraient les envier. Ce qui s’impose au regard dès le début et ne cesse de se confirmer jusqu’à la fin, m’a-t-il semblé, c’est qu’on a affaire à une dramaturgie fortement imprégnée d’une théâtralité qui en constitue à la fois la force et la faiblesse (ou, disons, les limites). Le premier personnage qui apparaît à l’écran, sur une plage proche du parc d’attractions du Coney Island des années 50, se nomme Mickey (Justin Timberlake) et il travaille comme surveillant de baignade. Il nous explique aussitôt (car il est, en quelque sorte, le récitant du film) que son rêve est d’écrire et, en particulier de devenir un grand dramaturge. Or le film multiplie les références ou les allusions aux grands auteurs du théâtre le plus tragique, à Tchekhov, au Shakespeare d’Hamlet, à Eugene O’Neill et même aux tragédiens grecs de l’Antiquité. C’est dans ce registre que s’inscrit clairement « Wonder Wheel », ce qui en fait un film presque trop sévère et trop bavard, malgré les décors rutilants du parc d’attractions ou de la plage encombrée de baigneurs.
Cette limite étant affirmée, il faut aussitôt souligner les qualités d’un film dont les personnages, comme dans toute tragédie, avancent, presque malgré eux, vers l’inévitable drame. Mickey commence par être séduit par Ginny (Kate Winslet), une femme plus âgée que lui, mariée avec un forain plutôt rustre qu’elle n’aime pas et mère d’un jeune garçon pyromane. Arrive bientôt Carolina (Juno Temple), la belle-fille de Ginny, venue se cacher chez son père pour échapper aux poursuivants envoyés sur ses traces par son ex-mari, un bandit de la pire espèce bien décidé à se venger d’elle. Or Carolina possède tous les atouts de la jeunesse, ce qui bien évidemment n’échappe pas au regard de Mickey.
Pas besoin d’en dire davantage : tous les personnages et tous les ingrédients sont réunis pour que, fatalement, comme dans les pièces des auteurs que je citais plus haut, l’histoire s’achève de la manière la plus sombre possible. Woody Allen, en grand cinéaste qu’il est, se garde de trop en faire, le ton qu’il emploie lors de certaines scènes est presque léger, les couleurs sont souvent chatoyantes. Mais le drame n’en que plus terrible quand il se déroule dans une ambiance de fête et sous un soleil rayonnant !