À Coney Island, la plage de New York, en juillet 1950 [je ne suis pas peu fier d'avoir retrouvé la date exacte], Ginny (Kate Winslet) vit dans l'amertume de la gloire qu'elle n'a pas conquise sur les planches. Hier actrice prometteuse, aujourd'hui serveuse exténuée, elle est mariée sans amour à Humpty (James Belushi) et s'est prise de passion pour Mickey (Justin Timberlake), un maître nageur plus jeune qu'elle avec qui elle a une liaison.
C'est alors que déboule Carolina (Juno Temple) la fille de Humpty, recherchée par la mafia, qui va s'amouracher de Mickey au grand dam de Ginny.
Deux critiques pourraient être à tort adressées à Woody Allen.
La première concerne sa vie privée qui fait à nouveau scandale, vingt ans après sa séparation fracassante avec Mia Farrow et son mariage avec la fille adoptive de celle-ci. Les faits au cœur de la polémique actuelle ne sont pas nouveaux. Ils remontent à cette époque. Ils concernent Dylan, la fille adoptive de Woody Allen et de Mia Farrow dont celle-ci reproche à celui-là d'avoir abusé alors qu'elle était mineure. Ces accusations prennent un jour nouveau avec l'affaire Weinstein, révélée au grand public par le propre fils de Mia Farrow, le journaliste Ronan Farrow.
La seconde serait de reprocher au réalisateur octogénaire de tourner en rond, en filmant encore et toujours le même film. Ce serait inférer du générique en police Winston, avec ses acteurs classés par ordre alphabétique et sa petite musique jazzy, une identité qui n'existe pas. Au contraire de Hong San-Soo, de Pedro Almodovar ou de Xavier Dolan, autant de réalisateurs qui font preuve d'une décoiffante productivité, Woody Allen ne se réfugie pas dans la facilité. Loin de s'attacher la fidélité d'un petit cercle d'acteurs abonnés à chacune de ses œuvres, il renouvelle de fond en comble son casting n'hésitant pas à solliciter de futures stars en devenir. Il ne révèle pas des talents inconnus mais il a le don pour choisir dans la jeune génération les plus séduisants. Il a ainsi dirigé Leonardo DiCaprio ("Celebrity"), Julia Roberts ("Tout le monde dit I Love You"), Will Ferrell et Chiwetel Ejiofor ("Melinda et Melinda"), Scarlett Johansson ("Match Point", "Scoop" et "Vicky Cristina Barcelona"), Ewan McGregor et Colin Farrell ("Le Rêve de Cassandre"), Penelope Cruz et Javier Bardem "(Vicky Cristina Barcelona"), Naomi Watts et Antonio Banderas ("Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu"), Owen Wilson et Marion Cotillard ("Midnight in Paris"), Cate Blanchett ("Blue Jasmine"), Emma Stone ("Magic in the Moonlight" et "L'Homme irrationnel"), Jesse Eisenberg, Kristen Stewart et Blake Lively ("Café Society")... Quel réalisateur peut se targuer d'un tel tableau de chasse ?!
Il faut considérer "Wonder Wheel" indépendamment de ces considérations et prendre le film comme il est.
Et la vérité oblige à dire qu'il n'est pas bon.
Woody Allen abandonne le terrain de la comédie pour celui de la tragédie. Il ne fait plus rire.
Il rompt avec le rythme prestissimo de ces films ramassés et débordants de vitalité pour d'interminables scènes de théâtre filmé, passées de mode depuis le prix Nobel d'Eugen O'Neil. Il fait bâiller d'ennui.
Il laisse son chef opérateur Vittorio Sotaro - qui a travaillé avec Bertolucci et Coppola - éclairer d'une lumière stromboscopique les interminables monologues de Kate Winslet. Il fait mal aux yeux.
Allez donc voir "Wonder Wheel" en essayant d'oublier son auteur... ou plutôt n'y allez pas et attendez son prochain en espérant qu'il soit meilleur !