Mmmmh. Un beau "oui, mais" pour ce Florida Project. À ceux qui s'attendent à quelque chose d'aussi enlevé que ce que la bande-annonce laissait penser, calmez vos ardeurs : TFP est loin d'être le bijou de comédie sociale douce-amère espérée, et la quasi-unanimité critique, toujours douteuse, doit inspirer la méfiance. Si l'on doit reconnaître quelque chose à Sean Baker (dont je n'ai pas vu Tangerine), c'est qu'il sait filmer et faire jouer les gamins. On ne peut pas faire plus authentique et naturels que ceux de son film, à commencer par la révélation au cœur de l'action, Brooklynn Prince, petit monstre plein de caractère et doté d'une attitude que savait exploiter la BA. Quand le réalisateur s'aventure avec eux, et à leur hauteur, dans ce suburban wasteland coloré, ça donne un spectacle très agréable, frais, parfois poétique (bien qu'un peu répétitif vers la fin). En parlant de poésie, on apprécie celle avec laquelle Baker filme ledit wasteland : la direction artistique est peut-être un peu datée (on a l'impression de mater un film de la fin des années 90), mais il arrive à lui prêter un charme improbable, doux et estival, notamment lors de ces nombreux couchers de soleil. Hélas, le film parle aussi des adultes, et là, c'est moins inspiré. Hormis le personnage de Bobby le gérant, belle figure humaniste et voix de la raison jouée par un Willem Dafoe au top de sa forme, ça traîne beaucoup autour de la mère de la gamine, et comme c'est une épuisante écervelée qui n'évolue pas d'un iota du début à la fin et nous ferait presque aimer les services sociaux (le film aurait dû s'appeler La Mauvaise éducation, mais c'était déjà pris...), sans que Baker ne pose le moindre jugement sur elle (ni quoi que ce soit), tout ce que l'on voit de la petite Moonee, c'est une catastrophe "in progress" qui ne se prendra pas une seule tarte des cinquante méritées tout au long du film. C'est deux heures parfois pénible d'échec total, filmé avec une insistance un poil glauque. Et c'est tout à ce rayon. Et en parlant du rayon substance, qu'on ne sorte pas l'argument de la "dénonciation du rêve américain", il ne vaut pas un kopek ; les critiques se paluchent dessus à la sortie de chaque chronique sociale indé américaine parce que ça fait bien, alors que tous les pays du monde ont produit leur lot de films dotés du même propos ; ce qu'on voit dans TFP, ce n'est pas l'échec du "rêve américain", mais simplement des figures universelles de miséreux qui rament pour s'en sortir. Les défenseurs du film louent son refus du misérabilisme ; ça l'est quand même un peu. Et l'épilogue torché à Disneyworld, dénué de subtilité (réfugions-nous dans le rêve capitaliste !), n'allège pas les gros sabots de la narration. Alors, tempérons un peu la critique : je ne déconseillerai pas du tout le film. Il a ses moments de grâce, se montre plutôt juste dans son étude de caractères (ce qu'il en fait est une autre affaire), et a justement du caractère, ce qui est déjà pas mal. Mais au bout du compte, on a un peu du mal à ne pas y voir un freak show un peu vain (donc trop long), sauvé par ses acteurs. J'étais prêt à lui refiler quatre étoiles, je ne lui en donne que trois au final...