"Code 8" fait partie de ces projets dont on ne peut d'abord que saluer la persévérance de l'ensemble de ses participants pour l'avoir mené à bien. Que cela soit les cousins Robbie et Stephen Amell producteurs et interprètes, le réalisateur Jeff Chan, son scénariste Chris Pare ou l'acteur Sung Kang, tous ont fait preuve d'une fidélité sans faille et ont franchi les obstacles pour que leur proposition de SF née sous la forme d'un chouette court éponyme de 2016 devienne un long-métrage. Le succès de la campagne de crowdfunding menée dans cette optique l'a d'ailleurs prouvé : comme eux, le public a également vu le potentiel véhiculé par cette histoire de personnes dotés de super-pouvoirs et considérées comme une minorité clandestine juste bonne à remplir les tâches les plus ingrates de la majorité. Déjà, en à peine dix minutes, Jeff Chan installait un univers convaincant où la critique sociale et la SF se fondaient en osmose dans bon nombre de jolies trouvailles, et ce jusque dans les traits du héros interprété par Robbie Amell. En effet, un Nord-américain au physique juvénile de parfait quaterback se trouvant dans la même condition que celle réservée aux immigrés sud-américains sur le sol des États-Unis se devait de marquer les mémoires et, par là même, démontrer la pertinence de la proposition de Chan.
Le contexte ainsi que le discours qui en découlait étaient donc bien là et exposés plutôt brillamment mais, malgré la bonne volonté de tous ses intervenants, restait à savoir si "Code 8" allait pouvoir offrir encore plus de matière à les développer en passant au format de long-métrage. Beaucoup de courts-métrages au point de départ séduisant se sont souvent cassés les dents sur une plus longue durée...
Eh bien, en matière d'univers, on peut dire que "Code 8" relève haut la main le défi ! Reprenant fidèlement tout ce qui a été mis en place par le court-métrage (seuls les personnages de Robbie Amell et de Sung Kang subiront quelques légères variations au final), Jeff Chan va d'abord enrichir son Amérique uchronique d'un rapide historique où les personnes possédant un super-pouvoir ont aidé à façonner le pays avant d'être rejetées en bloc afin d'expliquer leur situation aujourd'hui et renforcer le parallèle avec la position d'immigré. Mieux, s'il va à nouveau s'attarder sur les points essentiels du court pour toujours traduire ce sentiment d'une déshumanisation sociétale à leur égard (le travail clandestin, les violences policières, etc), il va même parvenir à l'aggraver en faisant par exemple entrer un nouvel élément en jeu, la Psyche, une drogue extraite à même de ces êtres hors-normes et synonyme de fait d'un trafic où l'humain n'est plus qu'une valeur marchande.
Évidemment, on pourrait pointer du doigt que cette métaphore vis-à-vis d'une minorité jouant sur une différence extraordinaire (super-pouvoirs comme "X-Men" ou extraterrestres comme "District 9") n'est pas une idée très neuve mais, dans le fond, si celle-ci se voit assortie d'un cadre SF suffisamment fort et offrant de nouvelles perspectives à une critique des maux les plus profonds de nos sociétés dites civilisées, il devient dur de ne pas la saluer, surtout lorsqu'elle vient de projets montés au forceps comme ici (une petite production canadienne, rappelons-le) face à une offre hollywoodienne se montrant plus que timorée en la matière. D'ailleurs, point d'overdose d'effets spéciaux inutiles dans "Code 8", Jeff Chan fait de son manque de budget un véritable atout en ancrant son histoire au plus près de la réalité du quotidien de ces héros et ne met en lumière leurs pouvoirs ou la technologie sécuritaire qui gouverne leur cité (la bien-nommée Lincoln City) uniquement dans le but de servir au mieux l'intrigue, l'avancée de ses enjeux et ses personnages.
Alors, bien sûr, faute de moyens, il manque clairement un souffle visuel de plus grande ampleur qui permettrait d'emmener le film au-delà de ce côté formel de téléfilm qui lui colle un peu trop souvent à la peau mais "Code 8" a le mérite incontestable d'avoir conscience de ses ambitions autant que de ses limites à les concrétiser et, avec un certain talent, cherche toujours à maximiser les premières malgré la contrainte des deuxièmes.
Là où on aura un peu plus du mal à soutenir le film, c'est du côté du déroulement de son récit et du peu de surprises qu'il réserve sur sa globalité. Certes, dans cet univers, l'évolution de son jeune héros dans le milieu des malfrats aux super-pouvoirs afin de subvenir aux besoins de sa mère malade permet d'étayer la portée symbolique du film, cependant, elle suit un schéma bien trop connu du film dit "de braquage" et de la spirale négative qu'il induit pour lui permettre de s'élever à la hauteur de la qualité du reste. Dommage car "Code 8" aurait sans doute fait un carton plein en choisissant de sortir également des sentiers battus de ce côté, d'autant plus que, lorsqu'il s'aventure sur le terrain de l'émotion pour explorer les dilemmes moraux de ses personnages, il gagne considérablement en densité en alliant l'humanité qui en émane à la métaphore de l'entreprise dans son ensemble. Néanmoins, et à défaut de plus, le tout reste mené avec une relative efficacité notamment grâce à son casting logiquement très investi dans la réussite du projet (les Amell et Sung Kang en tête).
De la ténacité de ceux qui ont tout fait pour qu'elle voit le jour à la justesse du regard qu'elle porte sur les minorités délaissées par la société américaine, "Code 8" est donc une proposition SF canadienne qui a une âme. Certes, l'intelligence de son propos aurait mérité une intrigue aux ressorts moins traditionnels mais il est indéniable que le film réussit à faire entendre sa propre voix grâce à la richesse de son univers et aux personnages bien campés qui y gravitent. D'ailleurs, ce monde n'en est encore qu'à ses prémices, toute l'équipe travaille déjà sur une série spin-off du film pour la future plateforme de streaming Quibi. Nul doute que les drones de Lincoln City n'en ont pas fini de repérer de nouveaux "Code 8"...