Comme le dit spontanément un des protagonistes : « Ce film est surprenant !… Mais l’art, c’est aussi fait pour surprendre les gens, non ? ».
Surprenant, certes il l’est ce film, un ovni du cinéma. Quelle foi il faut avoir en sa propre créativité, en son imagination pour oser lancer un tel ouvrage. Les producteurs, même face à la grande Varda, ont certainement dû fuir. La preuve en est du mode de financement participatif par crowdfunding, via KisskissBankbank.
Atypique et inventif, mais surtout un film plein de poésie, de délicatesse. Il est le fruit d’une rencontre entre Agnès Varda 88 ans et JR 33. Elle est toute petite et arbore un sourire narquois sous son inénarrable coiffe bicolore style panda. Lui est un grand escogriffe planquant obstinément sa prévenance derrière des lunettes noires.
Il y a cinquante ans, Agnès captait déjà avec son Leica les passants de sa rue Daguerre, et elle a réalisé deux films en 1980 à propos des Murals de Los Angeles. Il y a peu JR a immortalisé les habitants de la cité des Bosquets de Montfermeil en les placardant sur d’immenses murs. Ces deux là étaient bien faits pour se rencontrer.
Leur projet à la Depardon a été, sans aucun misérabilisme, d’aller à la rencontre des « petites » gens des villages. Ils ont voulu fixer des visages pour en faire quelque chose de grand. Pour ainsi moins abdiquer face au temps qui avale leur vie dans l’indifférence. Agnès et JR en quête de visages et de villages ont donc parcouru la France, la sillonnant à bord d’une drôle de camionnette, un gigantesque Photomaton.
Agnès Varda est une glaneuse de vie, et elle a ce « désir de mettre en valeur les gens, ceux qui n’ont pas l’habitude d’être en valeur ». Alors les immenses tirages de JR sont collés sur d’improbables supports verticaux de rencontre.
Un muralisme photographique en noir et blanc réservé aux oubliés de notre époque, tout comme le muralisme de Murillo affichait les indiens mis de côté au Mexique. Les collages de Varda et JR sont magnifiques, époustouflants.
Ils rappellent parfois les belles installations d’Ernest Pignon Ernest , lui qui disposait ses dessins sur les murs de Naples ou d’ailleurs. Varda : « je photographie les visages pour qu’ils ne tombent pas aussitôt dans les trous de ma mémoire ». Qui ?... un facteur, une éleveuse de chèvres, un groupe d’ouvriers, une conductrice de poids-lourd… Toutes sortes de gens de rencontre.
Sans que cela soit explicite, il est question de verticalité tout au long du film, comme une toile de fond symbolique du temps qui dégringole : murs ou précipices, immense empilement de containers ou hautes parois de châteaux d’eau… Un blockhaus est tombé en contrebas sur une plage de Normandie, un retraité de fraîche date raconte son vertige face au vide de son lendemain « comme au bord d'une falaise », une chèvre et un jeune veau sont tombés d’un à-pic…
Les photos de JR et Agnès quêtent l’immortalité. Mais voilà, tout autant que la vie les photos sont éphémères, et une marée a tôt fait d’effacer un grand tirage collé sur le blockhaus trop près de l’eau. Agnès n’est jamais loin des larmes dès qu’est évoqué son mari Jacques Demy décédé précocement. Peut-être est-ce une certaine obsession de la disparition qui donne une nostalgie, une mélancolie douce au film. Visite émouvante à Henri Cartier-Bresson, qui n'est plus qu'une trace délaissée dans un cimetière anonyme. « Que laissons-nous derrière nous ? » telle est la question.
De la douceur, le film en est empli. Celle d’Agnès, celle des relations taquines entre elle et JR. Le film apparaît alors comme un ensemble de jeux délicats : le manège affectueux entre eux deux, et puis une manigance subtile à facettes : Agnès, JR et le spectateur face à la genèse artistique. Devant nos yeux, est tracé, avec quelle légèreté, le processus même de la création. Comme dit Agnès : « Le but, c’est le pouvoir de l’imagination ».
Le film devait finir sur une rencontre avec Godard, ami de longue date d’Agnès. Rendez-vous était pris un matin dans sa maison près du lac Léman… On peut imaginer que Godard a voulu entrer dans le film d’Agnès, mais à sa manière. En tous cas en se dérobant à un échange convenu entre anciens combattants du cinéma. Merci Godard…
Bienveillance, optimisme, générosité, nostalgie, intelligence, humour, grâce … une bouffée d'air frais… Ce sont les mots qui reviennent le plus souvent à propos du film. Un bijou. Critique publiée sur alpha-pixel.blogspot.fr