La vie de Jésus a toujours été une grande source d’inspiration, en particulier pour les réalisateurs. De L’Évangile selon Saint Matthieu (Pier Paolo Pasolini, 1964) à La Dernière tentation du Christ (Martin Scorsese, 1988), en passant par La Passion du Christ (Mel Gibson, 2004), cette histoire a été explorée de toutes les façons possibles, soulevant toutes les polémiques, qu’elles aient été artistiques, cinématographiques, historiques ou religieuses. La richesse et l’ouverture interprétative de ce récit connu de tous ont poussé les producteurs du film à revisiter le mythe sous un angle différent.
Iain Canning Et Emile Sherman, les producteurs du film, nous expliquent comment la découverte archéologique des fragments de parchemins qui ont été attribués à Marie Madeleine, en Grèce et en Égypte, a décidé de cette approche inédite, celle de repenser la Bible à travers le regard d’une femme. Ils commentent : "Chaque génération amène sa relecture des grands mythes sur lesquels est basée notre société. Le cinéma se doit d’adopter une vision contemporaine afin de faire écho aux problèmes actuels et d’être capable d’interpeller et intéresser le public. La relecture de la destinée du Christ à travers le regard d’une femme nous a semblé amener un nouvel éclairage sur le passé tout en faisant écho à des problèmes très actuels".
Helen Edmundson, auteur de théâtre renommée, avait commencé un travail d’adaptation afin de tirer une trame dramatique des différents écrits existants. Philippa Goslett y a apporté une dynamique cinématographique afin que le texte puisse être adapté à l’écran. Pour les deux femmes il était question de restaurer une parole étouffée et déformée depuis trop longtemps, en plus d’une perspective différente sur une histoire connue de tous. Celle de la femme. "Le nom de Marie Madeleine a été marginalisé au cours des siècles, et le but était de lui rendre sa place originelle, en tant qu’apôtre à part entière, dans le récit de la vie de Jésus. Notre approche dépasse les limites culturelles ou religieuses pour s’adresser à l’humanité tout entière. Marie Madeleine est convaincue que le véritable royaume dont nous rêvons et pour lequel nous nous battons tous est en fait en nous. Là précisément où notre âme cohabite avec l’amour et la bonté. C’est un message qui semblait, et qui semble toujours, très déstabilisant car il implique de baisser sa garde et d’accepter. Un concept qui cadre mal avec les notions de compétitivité et performances modernes de nos sociétés individualistes, mais qui vaut la peine d’être rappelé et entendu."
Le fait de porter une telle histoire à l’écran était assez complexe car, en plus des textes consultés, de l’Évangile selon Saint-Marc à celui de Marie, ou des nombreuses versions du 1er siècle, chaque consultant avait une version différente, selon sa confession (catholique, juive, orthodoxe, ou protestante) ou sa formation (historien, religieux, archéologue). Mais ils se retrouvaient tous sur un point : le fait que Marie Madeleine ait sa place parmi les apôtres. Liz Watts, la productrice précise que le film n’a aucune prétention théologique ou historique, mais qu’il s’agit seulement d’une version artistique ouverte à toutes les interprétations et ce dans le respect de la confession de chacun. Elle précise : "Le film trouve son inspiration principale dans l’Évangile de Marie qui se démarque des autres évangiles. Il se présente sous forme de débat avec les apôtres, soulignant l’importance de sa place auprès de Jésus, et la pertinence de sa compréhension de la sainte parole, qu’elle tente de transmettre. Le fait qu’elle soit la seule femme au milieu d’hommes tend le débat, notamment avec Pierre, créant une dynamique fascinante à explorer. Les concepts chrétiens de pardon, pitié et humanité qu’on retrouve dans la Bible sont ceux pour lesquels Marie Madeleine luttait pour les mettre en avant."
Pour les producteurs du film, il était important d’éviter les polémiques, ne pas se mettre à dos les Chrétiens, sans pour autant renoncer au discours paritaire. La religion, l’Histoire et le genre peuvent facilement attiser les controverses, mais audelà de la compression historique des évènements et du traitement de la fonction de Judas, c’est vraiment le point de vue féminin qui changeait la perspective. Garth Davis, dont le talent a été largement reconnu après le très poignant Lion (2016), se veut un réalisateur à la parole humaniste. L’histoire de Marie Madeleine a fait écho en lui avec celle de Malala Yousafzai, la jeune fille qui s’est battue pour être scolarisée au Pakistan et que les talibans avaient tenté de tuer pour l’en dissuader. Le discours de cette survivante à l’occasion de la remise de son prix Nobel était axé sur le pardon de ses agresseurs. Pour le réalisateur, le pardon, en sa qualité d’ultime acte d’amour, est le centre du film.
En lisant le script il a reconnu le message que portait en lui le discours de la jeune Pakistanaise, le même que celui de Marie Madeleine. Il développe : "Au-delà de la teneur spirituelle et humaniste du film, je voulais aussi dépoussiérer les représentations cinématographiques des textes bibliques, réactualiser un message qui est au-delà des époques et des cultures. Je voulais éviter le désert et les stéréotypes, en faire quelque chose de plus moderne, de plus à propos, que le public puisse s’y reconnaître et comprendre la modernité d’un message toujours d’actualité. Je ne connaissais pas bien l’histoire de Marie Madeleine, et je pense que le public non plus. Revisiter la vie de Jésus à travers la vision d’une femme qui se bat pour ses convictions, en dehors du rôle que la société veut lui faire tenir, me semblait un pari intéressant."
La plupart des films sur la vie du Christ mettent Jésus au centre de l’histoire, mais ici, si le récit ne change pas, il bénéficie d’une nouvelle perspective et d’un nouvel éclairage. Et si Marie Madeleine est considérée par beaucoup comme une prostituée, on découvre avec ce film qu’il n’en est rien et on en apprend un peu plus sur ses origines. Fille de pêcheurs, avant même de rencontrer Jésus elle avait une connexion forte avec Dieu. Elle ne comprenait pas vraiment ce lien qui la rendait différente des autres. Alors que tous la poussaient à remplir son rôle social d’épouse et de mère, avant qu’il ne soit trop tard, elle ne se reconnaissait pas dans ce schéma et se sentait très incomprise. Quand Jésus arrive, il est le seul à comprendre sa solitude, ce qui l’incite à tout abandonner pour le suivre.
Rooney Mara venait de tourner Lion avec Garth Davis, qui a tout de suite pensé à elle pour le rôle. Il nous confie : "Le jeu de Rooney a un côté éthéré, qui semble être connecté à une autre dimension. Pour interpréter Marie Madeleine qui possède une connexion réelle avec Dieu, mais ne sait pas comment l’exprimer, c’était un atout primordial. Ce n’est pas une femme qui cherche qui elle est, mais qui possède une lumière intérieure forte qui la guide. Rooney lui a amené son calme et sa grâce."
Si Marie Madeleine est le centre du film, le trio qu’elle forme avec Jésus et Pierre donne sa dynamique au film. Pour jouer Jésus, il fallait un acteur au charisme et au magnétisme indéniables. Pour Garth Davis, il n’y avait aucun autre acteur possible en raison non seulement de son talent et de la force de sa présence à l’écran, mais aussi de la sensibilité, la bienveillance et la gentillesse de l’homme. Il avait prévenu la production : "C’est lui ou personne d’autre." Joaquin Phoenix a la particularité d’amener un supplément d’humanité à ses personnages et, dans le cas de Jésus, c’est ce qu’il fallait pour casser la figure emblématique d’un tel personnage. Derrière le mythe, les écritures ou l’institution, il y avait avant tout un homme simple. Un acteur de la trempe de Joaquin Phoenix pouvait lui amener une profondeur et beaucoup de nuances, tout en brisant et sublimant à la fois son côté iconique.
Pierre est une figure clef du Christianisme. C’était un homme du peuple, simple, en qui le spectateur peut facilement s’identifier. Il était très proche de Jésus et comme les autres disciples, s’il entretenait des rapports conflictuels avec Marie Madeleine, ils se sont finalement transformés en respect et en reconnaissance. Pierre ne voyait pas les choses comme elle. L’Évangile selon Marie propose une vision totalement différente des autres évangiles du Nouveau Testament, soulignant les polémiques et les débats liés aux différentes perceptions des apôtres, concernant notamment la définition d’un renouveau, spécialement à Jérusalem et après la Crucifixion.
Le comédien Chiwetel Ejiofor nous explique : "Je n’étais pas persuadé que la vision d’une femme apporterait un changement drastique aux nombreuses lectures déjà existantes de la Bible. Je trouvais cela intéressant, mais n’attendais aucune révélation. Mais à la lecture du script, tant de choses ont résonné avec notre époque et nos cultures, en ce qui concerne les relations hommes / femmes et surtout la banalisation de la misogynie. L’aspect patriarcal ancestral de nos sociétés modernes m’a sauté à la figure. L’autre élément intéressant pour moi était la désacralisation de ces évènements, et la manière terre à terre dont ils étaient traités dans le script. C’est la mise en pratique du message même de la Bible : revenir aux basiques, à l’honnêteté, la simplicité et la vérité. L’implication de Pierre était profonde et sincère, il était la main droite du Christ, dirigeait les hommes vers le nouvel ordre qu’il pensait que Jésus allait leur offrir. Il pensait plus en termes de révolution sociale externe qu’en révolution interne. Et si la présence de Marie était problématique, c’est qu’il ne voulait pas qu’on pense que leur groupe arrachait des jeunes vierges à leurs familles."
Le personnage de Judas Iscariote ne saurait être réduit à un traître devant l’éternité. C’était avant tout un être humain dans toute sa faillibilité. Tout un chacun aurait pu réagir comme lui pour protéger les siens. C’était peut-être un de ceux qui vénéraient le plus Jésus et il attendait le changement avec la plus grande ferveur, pour que les siens aient la chance de vivre dans un monde meilleur. Pour l'acteur Tahar Rahim, "la vision de Judas dans le film se rapproche beaucoup de celle de l’écrivain israélien Amos Oz : Judas était-il vraiment un traître ? Ou au contraire le plus fidèle et le plus dévoué des disciples de Jésus? Sans doute était-il l’un des plus sincères citoyens luttant pour la cause de son peuple, et non contre."
Le film a été tourné pour la plus grande partie en Sicile, après une période de répétitions intensives. Plutôt que de faire et refaire les scènes, Garth Davis fait systématiquement travailler ses acteurs sur des improvisations, les poussant à sortir de leurs zones de confort pour dépasser les limites de leurs scènes. Il pousse également les acteurs à faire beaucoup de recherches en amont, sur leurs personnages et ce qui a été écrit sur eux, pour pouvoir en discuter et fouiller en profondeur afin de se mettre d’accord sur le sens qu’ils veulent laisser percevoir dans leur interprétation. Il était très important que chaque motivation soit justifiée et surtout ancrée dans une réalité palpable afin que le spectateur puisse s’identifier à un univers concret pour accepter l’aspect spirituel de leur discours.
Garth Davis nous explique : "La répétition est peut-être le stade du film que je préfère. Je veux que les acteurs s’approprient le style de vie de leurs personnages. Je leur donne accès à tous les costumes et les accessoires disponibles et je leur demande d’accomplir des tâches de la vie quotidienne. Je leur ai fait préparer et manger un repas avec les aliments de l’époque. De même je les laisse s’approprier les lieux, les décors pour qu’ils leurs donnent vie et ne se contentent pas d’y passer. Je les ai aussi emmenés faire des randonnées en costumes. Je les confrontais à des problèmes matériels qui les obligeaient à comprendre certains aspects du quotidien de leurs personnages. Je leur demandais aussi de se dessiner les uns les autres. C’est un exercice que les comédiens adorent et qui en dit long sur la manière dont ils envisagent les personnages des autres, en plus de créer des liens forts. Mais les scènes on ne les répète jamais."
Le réalisateur Garth Davis s’est entouré de l’équipe avec laquelle il avait précédemment travaillé sur Lion et Top Of The Lake la série qu’il a coréalisée avec Jane Campion. Et contre toute attente, pour recréer l’univers du Ier siècle, ils se sont tous inspirés de Monty Python : La vie de Brian (Terry Jones, 1979) qui en dépit de son caractère comique propose une vision très réaliste de la vie quotidienne de l’époque. Il fallait faire mieux et surtout essayer de faire autre chose que tout ce qui avait déjà été fait concernant la vie de Jésus et "Dieu seul sait qu’il y a eu beaucoup de versions cinématographiques à ce sujet" nous confie le metteur en scène. Selon lui il était important de rester fidèle aux textures de l’époque et de ne pas de se fourvoyer dans des idées préconçues ou trop cliché.
Le temple de Jérusalem a souvent été représenté comme un petit marché, mais en réalité il s’agissait d’un énorme bazar, de la taille d’environ 16 terrains de foot. La scène où Jésus chasse les marchands du temple a été tournée à Naples, à la Piazza Del Plebiscito, qui avait des dimensions qui se rapprochaient de ce qu’avait dû être le temple sur les hauteurs de Jérusalem. Garth Davis le voulait grouillant, bruyant, avec des prêtres, des percussions, des chants tous azimuts. Avec plus de 400 figurants ils ont recréé une ambiance très festive à la manière des festivals d’Amérique du Sud. Garth Davis conclut à propos du film : "Notre plus grande ambition en montrant le fruit de notre travail est de faire en sorte que le public, en sortant de la salle de projection, ralentisse et se pose quelques instants pour écouter son coeur, parce que c’est le message principal du film. C’est dans le silence qu’on retrouve Dieu. Il faut arrêter les idéologies, les débats, les disputes et rester dans l’amour et l’écoute."
La créatrice des costumes, Jacqueline Durran, est la seule nouvelle venue au sein de l’équipe menée par Garth Davis. Elle s’est largement documentée sur l’histoire des costumes juifs, les traditions vestimentaires palestiniennes et tout ce qui pouvait toucher aux atours bibliques. Le but était de partir des éléments de base incontournables pour rester le plus fidèle possible aux coutumes présupposés de l’époque. Le coton, la laine, le lin et le chanvre étaient évidemment de rigueur, traités à la main. SEP une entreprise de textile locale située dans le camp de Jerash en Jordanie a exécuté toutes les broderies faites à la main par des artistes qui font appel à des réfugiés pour les réinsérer et leur permettre de gagner un salaire correct. Ils ont dessiné tous les motifs à la main sans canevas dans le style de l’époque. Tous les costumes étaient composés sur la même base: une tunique, une sous tunique, une étole et des sandales. Chaque comédien décidait ensuite de la manière dont il pouvait ajuster ensemble ces différents éléments.
D’après les Évangiles chrétiens, Marie Madeleine a assisté à la mort de Jésus et à son enterrement. Elle est désignée comme la première personne à avoir été témoin de sa résurrection. En 591, le Pape Grégoire a affirmé que Marie Madeleine était une prostituée, une proposition erronée qui a pourtant perduré jusqu’à aujourd’hui. En 2016, Marie Madeleine a été officiellement reconnue par le Vatican comme étant l’apôtre des apôtres, leur égal et la première à avoir répandu la nouvelle de la résurrection de Jésus.
Beaucoup de scènes ont été tournées dans le sud de l’Italie, dans la vieille ville de Matera, et dans l’arrière-pays de Puglia, pour représenter Cana et Jérusalem. L’autre grosse partie du film a été tournée en Sicile. Mais l’équipe a passé beaucoup de temps en repérage en Israël pour saisir non seulement l’architecture mais également la manière dont les gens pouvaient y vivre à l’époque, avec l’aide d’experts, d’architectes et d’historiens locaux. Fiona Crombie, chef-décoratrice, nous raconte : "Nous voulions comprendre comment se déroulaient les activités les plus quotidiennes, ce que les gens mangeaient, avec quels ustensiles, à quoi ressemblaient leurs maisons, qu’est-ce qu’ils avaient à leur disposition et comment ils s’en servaient. Nous ne pouvions pas filmer en Israël, mais nous avons retrouvé la même atmosphère à Matera, en Italie."
Le travail sur les décors se voulait en parfaite adéquation avec celui sur les costumes (Jacqueline Durran, chef-costumière) pour créer une harmonie et une fluidité visuelle impactante. La palette chromatique a été décidée de concert bien avant le début du film et les deux femmes ont opté pour des tonalités monochromatiques avec lesquelles la chaleur poussiéreuse et rocailleuse du paysage sicilien s’insérait parfaitement. À partir du moment où Marie Madeleine quitte Magdalène, elle traverse des paysages très différents au cours de son voyage. Chaque étape du film possède une palette qui lui est propre. Cana le noir et le pourpre ainsi que les tonalités sombres ont été privilégiées. Les apôtres quant à eux étaient comme des créatures du désert, poussiéreux monochromes, comme à contre-courant des paysages successifs qu’ils traversaient. Elle développe : "Garth Davis qui vient des arts appliqués m’avait donné une règle d’or: ne pas avoir peur de l’épure et du minimalisme pour laisser la place à la simplicité."