S’affranchissant de tous repères, Darren Aronofsky construit, avec « Mother ! », un thriller en transe à la fois brutal et dantesque, prenant ses comédiens à contre-emploi et dévorant les obsessions au sein d’un univers chaotique. Le fait est que le réalisateur de « Black Swan » pousse ici son cinéma dans ses retranchements, accouchant d’une œuvre singulière mais baignant dans la symbolique. Et le problème n’est pas le recours à la symbolique en lui-même, mais la redondance de cette finalité. Car finalement, Aronofsky confond confusion et mystère, et « Mother ! » semble avoir été uniquement conçu pour être déchiffré, n’échappant pas à son concept étroit. Très influencé par Roman Polanski, Aronofsky colle d’emblée sa caméra à Jennifer Lawrence, qui ne sort presque jamais du cadre, malgré un rôle assez radin de spectatrice des événements et non d’actrice de l’histoire. D’ailleurs, on note rapidement l’insignifiance des personnages du film (Javier Bardem : 😕), ce qui, pour un huis-clos, s’avère profondément dérangeant, voire fatal pour la narration.
Aronofsky, comme souvent, tire sur les grosses ficelles. Au lieu d’installer un malaise qui viendrait progressivement englué l’intrigue, il se stoppe à un thriller assez cheap flirtant avec une trame fantastique putassière. Cependant, il a tout de même l’intelligence de ne pas achever son film sur un twist final, ne rationalisant pas les nombreux retournements de situation de son scénario, mais il ne trouve jamais de logique. « Mother ! » nous montre une Jennifer Lawrence oppressée par les gros plans et un capharnaüm de métaphores souvent convenues. Nous retrouvons ici la paranoïa, une ambiance mystique, et de nombreuses allégories du sexe et de la religion. Exploité par les talents de vulgarisateur d’Aronofsky, le tout forme un chaotique simulacre faussement provocateur et boursouflé où s’entremêlent philosophie de comptoir et séquences pseudo-choc « m’as-tu vu ? ». Mais en profondeur, que nous dit « Mother ! » ? Qu’un artiste a besoin de la ferveur d’un public avide, jaloux et cupide, pour exister. Que l’art est obligé de se soumettre au commerce. Que les sentiments sont complexes. Et que tout cela réunit engendre le désordre et la destruction. On remerciera d’ailleurs Aronofsky pour son message final : la guerre, c’est mal, et ça recommence, incessamment, pour les mêmes raison et avec les mêmes desseins.
Bref, « Mother ! » n’a rien du film-dont-tu-ne-te-remettras-pas. Au contraire, il s’agit là d’un long-métrage qui laisse particulièrement indifférent, allant partout sans jamais arriver nulle-part. Sur le plan purement cinématographique, c’est une véritable désolation, à l’image du personnage totalement désincarné d’un Ed Harris passé prendre son chèque. Reste tout de même quelques scènes passablement étonnantes et passant outre la lourdeur allégorique. Aucune retenue, vulgaire et dénué d’intensité. Ce qui faisait la beauté d’Aronofsky à ses débuts est en train de le perdre. Original à ses débuts, le voilà désormais en train de livrer le cliché parfait du cinéma d’auteur moderne, à la fois tristement convenu et affolant de prétention. « Mother ! », ou un « Rosemary’s Baby » de fragile.