Pour celles et ceux qui ont vu The Lobster ou Mise à Mort du Cerf Sacré, un constat s'impose : cet homme-là, Yorgos Lanthimos, n'est pas là pour rigoler. Du moins, jusqu'à ce que La Favorite retourne un peu la table.
Partant sur les bases d'une histoire réelle (la rivalité entre deux femmes à la cour pour avoir les faveurs de la reine Anne, au début du XVIII ème siècle), Lánthimos délivre son film le plus accessible tout en conservant la bizarrerie qui caractérise son cinéma.
Extrêmement satirique, La Favorite tire à boulets rouge sur l'aristocratie et asperge l'âme humaine de son acide. Incroyablement décomplexé, le long-métrage mêle composition picturale blafarde et tonalité libidineuse. À grand renfort de grands-angles, la caméra cloisonne ses personnages dans une prison où seuls le stupre et l'égoïsme trouvent leur place.
Ajoutez-y l'imagerie macabre entourant le seul protagoniste un tant soit peu empathique (Anne) notamment avec les lapins, et vous obtenez une œuvre singulièrement réussie. Lánthimos est une véritable mine d'or pour quiconque a envie de se réinventer (cf. Colin Farrell).
Il frappe très fort en offrant à Rachel Weizs et Emma Stone des rôles à l'opposé de ce à quoi les comédiennes nous ont habitué. Lady Sarah et Abigail jouissent d'une vilénie jubilatoire et/ou écœurante (notamment dans son dernier acte); les actrices fracassent joyeusement la bienséance à coups de dialogues au vitriol et de remarques paillardes.
Mention également de Nicolas Hoult, assez hilarant en jeune comte odieux et dépravé.
Comme je le notai plus haut, Lánthimos n'aime rien tant que subvertir les attentes. Cela se manifeste ici non seulement par l'apparence de sa fable grivoise, mais également avec le personnage de la reine Anne d'Angleterre, finalement le plus appréciable. Olivia Colman (fantastique) ajoute une couche tragique à La Favorite, la monarque étant accablée par la perte, le manque et la solitude. Une figure complexe mais très émouvante, à laquelle Colman confère une terrassante humanité.
À mes yeux, il s'agit du meilleur film de son auteur à ce jour. Incroyablement direct et cruel, simultanément drôle et poignant, il fait l'état des lieux du pouvoir, cette zone de chasse permanente. Film d'époque et pourtant intemporel, La Favorite est une diatribe sans âge, sans fard sans retenue.