Il y a beaucoup de bien à dire sur le polar de Rodrigo Sorogoyen, qui tient en haleine sans jamais faiblir pendant 2 heures bien pleines et bien remplies. On peut découper ce film en deux parts égales. La première verse dans le polar très conventionnel mais avec une efficacité assez redoutable. Un duo de flic se retrouve à enquêter sur un sérial violeur et assassin particulièrement ignoble. Tous les ingrédients sont présents : la recherche des indices, les autopsies, la rivalité entre les groupes de la crim, les retombées sur la vie personnelle (et pas seulement pour celui des deux qui en a vraiment une !). Même si le fond est sans surprise, impossible de décrocher tant l’intrigue est claire, bien charpentée, solide sur ses bases et bien ancrées dans son contexte. Puis, au milieu du film survient une cassure dans l’enquête et la trame devient plus originale, la malaise se fait plus fort, plus poisseux, jusqu’au drame. Sorogoyen manie sa camera avec talent, propose des jolis plans, filme une course poursuite à l’épaule de façon efficace. C’est la façon dont il joue avec les nerfs des spectateurs qui est assez remarquable, en utilisant les contrechamps, en jouant avec une musique qui ressemblent à des battements de cœurs (sans en abuser), à s’amusant avec la lumière (et avec l’absence de lumière). Son film est maitrisé, tendu comme un arc et sans aucune baisse de régime. Même dans les moments où on pense que la tension va retomber, elle ne retombe pas. Comme un équilibriste sur son fil, il reste concentré et affuté de la première image à la toute dernière. Il a un duo de comédiens épatant à sa disposition, Antonio de la Torre d’abord. Cet acteur semble être dans tous les bons coups du cinéma espagnol, de « La Isla Minima » à « La colère d’un homme patient » Il campe ici un flic apparemment inoffensif, bègue (sans jamais singer le bégaiement, en tout cas dans la VOST), à la vie sociale proche de 0. La relation qu’il noue avec la femme de ménage de son immeuble est terriblement maladroite, elle met carrément mal à l’aise. Il faut dire que l’inspecteur Velarde est capable de brusquerie, de réactions un peu inappropriées, comme un homme qui n’arrive pas à se situer par rapport à autrui. A de nombreuses reprises on se dit qu’il est autiste ou quelque chose comme ça. Antionio de la Torre est parfait dans ce rôle difficile. De l’autre côté, Roberto Alamo donne corps très efficacement à un flic en apparence plus inquiétant, qui a le coup de poing facile. Mais très vite, ce n’est pas lui qui semble le plus borderline ! Les seconds rôles sont plutôt bien écrits et bien incarnés, et c’est sur Javier Pereira que l’on s’attarde, dans le rôle d’un assassin monstrueux
caché sous une apparence de fils de bonne famille bien propre sur lui
. A 20 minutes de la fin environ, l’identité de l’assassin nous est dévoilée, comme ça, au détour d’un mouvement de caméra.
On s’est perdu en conjecture pour rien, son identité n’est pas un coup de théâtre.
Les 20 dernières minutes du film mettent donc en présence deux chasseurs et leur proie et comment ils vont l’appréhender…
ou pas !
Le contexte de film, à savoir d’une part la canicule (qui échauffe les esprits), et d’autre part la crise de 2011 (mouvement des indignés, manifs qui dégénèrent, crise du logement) et l’organisation des JMJ n’est pas juste une toile de fond. Ce contexte influence l’enquête d’une façon insidieuse mais bien réelle. C’est à cause des JMJ que l’enquête doit rester secrète et c’est parce que l’enquête ne s’ébruite pas que le violeur s’enhardit et devient de plus en plus violent, se sentant invulnérable. La religion est omniprésente, jusque dans le titre du film. La religion catholique imprègne la société espagnole dans des dimensions qui nous sont inconnues en France (un héritage du franquisme, entre autre) mais ici, elle n’est pas mise en cause avec des gros sabots. Elle a son importance, dans les motivations du tueur, dans le contexte, elle est omniprésente sans jamais être au centre de l’intrigue. Il y a dans « Que Dios nos perdone » de la violence, une violence crue, pas gratuite mais qui peut mettre un petit peu mal à l’aise, j’en conviens, une scène d’agression de vieille dame notamment, et la scène finale qui dure en longueur. Le scénario ne donne pas toutes les clefs des motivations psychiatriques du violeur de vieilles dames, il suggère et laisse le spectateur imaginer le pire, l’ignoble, l’abominable… C’est encore pire, je crois, de laisser les imaginations divaguer sur la question ! Il n’y a pas grand choix dans le rayon des petits défauts si ce n’est quelques incohérences :
des pièces à conviction mise dans une poche sans protection plastique (et les empreintes ? l’ADN ?), ou bien une absence inexplicable de scellés sur une scène de crime (et c’est une erreur qui va se payer cash !).
On pourrait passer l’éponge sur ces erreurs un peu grossières si ces deux éléments n’allaient pas être au centre de la résolution (ou pas) de l’enquête ! Mais franchement, à part ces quelques détails, quel bon film que ce polar espagnol ! Quand il a cette qualité, cette personnalité et cette densité, le cinéma européen n’a rien à envier à personne.